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À un moment, la mauvaise humeur était à son comble et je crois me souvenir que nous nous sommes concertés à quelques-uns pour aller, avec des outils imprécis, taper sur les costauds qui ronflaient dans les coins. Il s’est passé un temps interminable, après lequel les costauds sont revenus, coltinant des barils sur leurs ecchymoses. Quand les barils ont été vidés, on a pu enfin s’asseoir dessus, ou à côté, mais enfin on était assis, prêts à boire et à écouter, car il avait été question de joutes oratoires ou de quelque divertissement de ce genre. Tout cela reste assez nébuleux dans ma mémoire.

Faute de direction, nous étions emportés au gré des mots, des souvenirs, des manies, des rancunes et des sympathies. Faute d’un but, nous perdions le peu de force de nos pensées à enchaîner un calembour, à dire du mal des amis communs, à fuir les constatations désagréables, à chevaucher des dadas, à enfoncer des portes ouvertes, à faire des grimaces et des grâces.

La chaleur et la tabagie épaisse nous donnaient une soif inétanchable. Il fallait sans arrêt se relayer pour aller battre les costauds, qui maintenant apportaient des bombonnes, des tonnelets, des jarres, des seaux, tout cela plein de l’espèce de tisane que l’on pense.

Dans un coin, un camarade peintre expliquait à un copain photographe son projet de peindre de belles pommes, de les broyer, de les distiller, « et tu as un