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Totochabo disait :

— … Le plus crétin des virtuoses, au bout de quelques années d’exercice, arrive à briser une coupe de cristal à distance, par la seule émission de la note exacte correspondant à l’équilibre instable de la matière vitreuse. On cite plusieurs violonistes, pas plus bêtes que d’autres, qui faisaient ça presque naturellement. La maîtresse de maison est toujours très fière d’avoir sacrifié à l’Art, ou à la Science, selon les cas, la plus belle pièce de sa verrerie, un souvenir de famille, qui plus est, elle est tellement ravie qu’elle en oublie de gronder son fils qui vient de rentrer du lycée complètement saoul, le fils persistera dans le vice, échouera à ses examens, sera réduit à faire du commerce, deviendra riche et considéré, et toute cette chaîne d’effets est suspendue à un son musical déterminé, exprimable par un nombre. J’ai oublié de dire que le mot « Art » est le seul que les carpes soient capables de prononcer. Je continue.

« Les physiciens Chladni et Savart, en faisant vibrer des plaques métalliques recouvertes de sable fin, ont produit des figures géométriques par les lignes nodales séparant les zones de mouvement. En employant au lieu de sable de la poudre de tournesol gommée, ces savants — comme on les appelle, non sans raison — …

— On en a foupé, d’fé vistoires, gicla Johannes Kakur, un érudit gascon, en s’avançant sur Totochabo, le vin