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Comme je faisais mon chemin vers là où il y avait le plus à boire, je fus bousculé par des mécontents qui n’avaient pas encore trouvé leur caserne, leur église, leur caverne, leur placard ou leur vignoble ensoleillé. Je me mêlai à eux pour quelque temps. Georges Arrachement circulait de l’un à l’autre d’un air harassé, mais une lueur malicieuse aux plis des lèvres et des yeux. D’une voix rapide il déclarait « que c’était toujours la même chose, qu’ici ou ailleurs on serait toujours les victimes du collectif, et que Dieu devait une belle chandelle à l’humanité ».

Un peu plus loin, je fus rejoint par Solo le brocanteur qui me prit par le bras et me dit :

— Tu as raison de quitter ces bavards. Il y a une chose qu’ils ne savent pas. C’est que, même si l’on trouve la porte, il n’y a pas moyen de l’ouvrir si l’on n’a pas la clef. Et même si l’on a une clef, elle n’ouvre qu’une serrure et l’on se casse le nez sur la porte suivante. Ils ont oublié la main de gloire, la clef magique qui ouvre toutes les portes. Et nous, nous savons, hein, ce qu’il en coûte pour se procurer la main de gloire.

— Oui, nous savons ce qu’il en coûte et nous ne l’avons pas encore payé, répondis-je machinalement, tout en songeant : « Il a raison et pourtant il n’a pas raison. Comment est-ce possible ? » Puis pour la deuxième fois