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Soulevant une tenture, il découvrit une porte aux serrures compliquées, puis il sortit de sa poche un trousseau de clefs et une gourde qu’il me tendit.

— Garnissez-vous l’estomac pendant que j’ouvre, dit-il, car nous devrons rester une heure ou deux sans boire », et il ferrailla dans les serrures.

La porte tourna silencieusement et nous nous trouvâmes au Paradis. Une lumière ! Des lustres ! Des moulures dorées ! Des papiers peints, qu’on aurait dit des vraies tapisseries. Des divans profonds comme des tombereaux, couverts de torrents de soie artificielle. Des fontaines lumineuses qui distribuaient verveine, camomille, menthe, orangeade, limonade, avec des gobelets en métal argenté, plus léger que le massif et si plus commode ! et tout ça pour rien, à portée des lèvres. Des bibliothèques à catalogues électriques et distribution automatique. Des pupitres en contre-plaqué avec phonographe, T. S. F. et cinéma sonore individuel. Des brises de patchouli. Des rosées de glycérine, qui ne s’évapore pas, sur des gazons de papier paraffiné, qui ne fane pas.

Des anges en baudruche, gonflés d’hydrogène, flottaient parmi les cataractes de lumière oxhydrique, agitant dans leurs tendres mains des harpes éoliennes d’où neigeait le bruissement de valses viennoises et d’allègres chants militaires, enfin de tout pour tous les goûts.