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En quelques minutes de marche nous nous trouvâmes à l’entrée du plus grand aéroport de la ville. Le Grand Hôtel du Départ venait de tirer un coup de canon pour annoncer que le Prince de la Bougeotte était son hôte ce jour-là. Il devait rester cinq minutes, à en croire la confidence d’un chasseur. C’était une chance inespérée, m’expliqua l’infirmier en me poussant dans l’ascenseur et il ne m’avait pas encore dit pourquoi qu’il avait déjà fait sauter une serrure à la dynamite et nous voici dans la chambre du Prince. Il est couché dans sa malle-baignoire (une invention à lui), un récepteur téléphonique à chaque oreille, quatre dictaphones braqués vers sa bouche et trois sbires le veillant revolvers aux poings.

— Laissez-moi l’interviewer, me dit mon compagnon, vous ne sauriez pas y faire.

Il s’approche du Prince et le dialogue suivant s’engage :

— D’où ? — Cap. — Où ? — Chaco. — Par où ? — Klondyke. Pressé. — Quoi ? — Fusils-mitrailleurs, opium, ouvrages pornographiques et de piété. — Combien ? — Millions de piastres. Cent mille victimes. Crise ministérielle. Cinq divorces. — Êtes-vous heureux ? — Pas le temps.

Un haut-parleur cria : « L’aérobus de Son Altesse est avancé. » Les trois sbires tirèrent chacun trois coups en