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Page:Daveluy - Le filleul du roi Grolo, 1924.djvu/50

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filleul sans elles ?… Ah ! ah ! ah !

Le pauvre Jean obéit encore. Ses dents se serraient, des larmes de rage, de douleur, de honte l’aveuglaient. Une fois dépouillé de ses habits, il se couvrit un moment la figure de ses mains, puis, comme un fou, s’enfuit dans la forêt. Il ne lui était plus possible de supporter la vue de son lâche agresseur. Ses cruels éclats de rire semblaient autant de charbons ardents sur son cœur pantelant. Et longtemps, bien longtemps, il entendit l’adieu que lui jeta à pleine voix le cynique seigneur : « Viens, un jour, à la cour, petit. Je te rendrai au centuple le service que tu me rends aujourd’hui. »

Jean courait, courait sans relâche à travers les fourrés. Il ensanglantait ses pieds, ses mains, son front. Il n’en avait cure. Il ne ressentait rien au physique, tant il était secoué au moral. Vers le soir, il se sentit moins surexcité. Ses forces s’épuisèrent. Seul, un noir désespoir s’empara de son cœur. Un grand lac qu’il aperçut et sur les bords duquel il erra, lui mit à l’esprit un désir horrible. « Si je m’y laissais engloutir, soupira-t-il ! Qui regrettera un malheureux comme moi ?… N’ai-je pas gâché mon existence et, ce qui est plus lamentable, l’existence des miens ? Leur fortune était assurée. Grolo-le-bon eût tenu ses promesses. » Mais ce ne fut là qu’une tentation mauvaise. Le cœur vaillant de Jean la repoussa. Il s’effondra bientôt au pied d’un pin, secoué de gros sanglots.

Un coup de sifflet doux, léger, musical, déchira près de lui la brume du soir. Jean leva la tête. Vers lui, dans la lueur indécise du crépuscule, s’avançaient douze petits vieillards, pas plus haut qu’une botte. Ils portaient de longues barbes et étaient coiffés d’une tuque gris cendre. Leurs vêtements