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mot, toujours intimidant à prononcer. Les collines n’ont-elles pas leurs sommets, tout comme les plus hautes montagnes ?

Je m’explique d’ailleurs tout de suite, entrant au cœur même de ma carrière, en vous parlant de la plus importante collection privée jamais connue au Canada.

La Ville de Montréal en fit l’acquisition en 1910. Puis, tous ces trésors, ces Canadiana rarissimes, furent ensevelis dans des caisses, protégés par des bandelettes de plomb, puis déposés dans la crypte, — ou le sous-sol de ce palais. Elles attendirent longtemps leur réveil, ces soixante caisses-sarcophages, alignées comme des tombes royales dans quelque vieille abbaye. On frissonnait un peu en les frôlant à l’occasion du moins les personnes d’imagination vive. On se dépitait aussi. Qui n’accepte de chercher et de désirer longtemps un trésor introuvé ? On gronde devant tout trésor dont on retarde l’heure de la possession. Ce pénible sommeil dura douze ans. Il fallut que la Ville désespérât de ses finances et des sommes à offrir pour des acquisitions nouvelles — cela lui arrivait souvent hélas ! — pour qu’enfin elle se décidât à exhumer, des richesses bibliographiques sans exemple. En février 1922 exactement la première caisse livrait ses in-folios. Grand émoi ! Heure inoubliable, où il me fut donné de plonger dans l’écrin, pardon, dans la modeste et solide boîte en bois, débarrassée de son plomb funèbre. Avais-je mérité cet honneur ? Je ne le crois pas. Mais depuis cinq ans, je m’appliquais à connaître, à saisir chaque secret de mon métier. Je méditais depuis si longtemps le reproche pénible d’Olivar Asselin à ses compatriotes : « Les Canadiens n’aiment et ne cultivent que l’à peu près ». Je me renseignais. J’étudiais. Un stage à l’Université McGill, puisque l’Université de Montréal n’avait pas d’École de bibliothécaires, ouvrit bien grands mes yeux. J’y acquis la certitude que ma carrière non seulement ne s’improvisait point, mais ne s’achevait jamais. Course magnifique vers un humanisme presque inaccessible ; tentative ardue, sans aide adéquate ou rare et difficile à se procurer, voilà ce qui m’empêcha de jamais connaître le repos, ou cette béate satisfaction devant des efforts accomplis en vitesse.

À côté du travail culturel se dressait donc sans cesse, l’art du technicien à acquérir. Je sentis souvent cette pointe de mélancolie que connaissent ceux qui œuvrent dans le vide, qui prennent des décisions, assument des responsabilités, que l’avenir ne ratifiera point. Tâche de pionniers qui s’attaquent à la forêt, puis à son essouchement, non travail de jardinier-artiste, qui sème pour la floraison prochaine des lis et des roses.

Qu’on ne m’accuse point d’amertume ! Je n’en eus jamais. Comment ne pas admettre que dans tout domaine, ce sont les pionniers qui apparaissent d’abord. Avec eux, c’est un appel constant à l’énergie, à la patience, à la résignation. Les résultats-heureux, ils les auront voulus de toutes leurs forces, mais ils ne les verront point. Cette terre promise ne sera entrevue qu’en rêve. Cette vision réconfortante ne constituera qu’un mirage qui dura.

La foi en son métier, l’amour de son métier feront seuls renaître, chaque jour, les forces et cet espoir qu’on ne se dépense jamais en vain, que nul effort n’est perdu, comme a dit un sage.

Vaste culture, technique parfaite, possession d’un outillasse qui soit