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bon vivre » ; l’époque des boulevardiers et des danseuses de music-hall (qu’on a fait revivre depuis quelques années à Paris sous le titre de French Cancan).

Si l’on en croit Blumenfeld, cette chanson donna le signal de l’émancipation dans l’Angleterre victorienne, étouffée depuis des années sous un formalisme et un puritanisme rigoureux. C’est peut-être exagéré, mais on peut affirmer qu’elle concrétisait en quelque sorte le sentiment vague de chacun.

Vulgaire, certes, cette chanson l’était. Mais Lottie Collins, qui la chantait et la dansait, y mettait un tel mouvement et tant de signification qu’elle en prenait un sens admirable. Henri Rochefort — voilà encore un nom qui évoque à merveille le début de notre siècle — Henri Rochefort, exilé à Londres d’où il dirigeait l’Intransigeant par le moyen d’une dépêche quotidienne, l’entendit un soir. « Chanson stupide, grommelait-il. Banale ! Absurde ! » Mais quand clamant boom-de-ay ! du haut de sa voie, la chanteuse se lança dans sa danse folle au milieu du frou-frou de ses jupons de dentelle d’où émergeaient ses jambes gantées de noir (comme disaient les romanciers folâtres de ce temps-là), il dressa l’oreille et… l’œil, si l’on peut dire. L’impudence, la hardiesse de l’artiste le confondaient. Depuis bien longtemps, la scène anglaise n’avait admis autant de liberté ; jamais encore, sous le règne de Victoria, une femme n’avait osé montrer ses jambes en public.

Lottie Collins avait trouvé la chanson aux États-Unis, où elle n’avait guère de succès. L’artiste sentit qu’elle en tirerait un grand parti, si elle pouvait lui associer la danse à laquelle elle pensait