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LES FRANÇAIS ET SAINT-CASTIN

Par nécessité et peut-être par goût, — on n’en sait rien, il ne s’est jamais expliqué, — Saint-Castin adopta la manière de vivre propre aux sauvages. Ayant épousé la fille du grand sachem, il devint un de leurs chefs. Dès cet instant, il cessait d’être français pour devenir abénaquis, comme on prend une nouvelle nationalité par le moyen de la naturalisation. Voilà le fait à retenir.

Était-ce trahison ? S’il y avait trahison, c’était chez ceux qui, l’ayant envoyé dans un poste difficile, l’y abandonnaient. Saint-Castin n’abdiqua jamais sa qualité de blanc, il changeait de nationalité mais non de race. Il n’oublia jamais non plus ses origines françaises. Il fut en Acadie le plus ferme soutien de la France, le seul efficace en ces parages. Seulement, comme ses Pentagoëts, il était l’allié de la France et non plus un de ses officiers soumis aveuglément aux ordres des supérieurs.

Isolé dans Pentagoët, loin de toute civilisation, il n’entendit aucunement parler de la France pendant dix ans. Comment, ensuite, aurait-il éprouvé le désir bien vif de se rapprocher d’elle ?

Il subissait le sort de tous les Acadiens. Rendons-nous compte, à considérer l’histoire froidement, que l’Acadie s’est faite sans le secours et même en dépit de la France officielle. La colonisation s’y est effectuée par les soins des seigneurs, que M. Rameau de Saint-Père a qualifiés de féodaux. Les fondateurs de l’Acadie, ce sont les Poutrincourt, les Razilly, les Aulnay, quelques autres. Ils ne recevaient de la France, bien souvent, qu’un parchemin, un titre de concession, lequel ne coûtait rien à la métropole, mais la débarrassait des frais et des soucis de la colonisation, et qu’elle révoquait souvent sans raison. Cadeau bien lourd pour le récipiendaire. Tous s’y sont ruinés et la cour aidait à leur ruine.

Si les colons devaient éprouver de la reconnaissance pour avoir été arrachés de la doulce France (où, sans doute, ils crevaient de faim) et transplantés en un pays où leur vie ne pesait pas lourd, c’était envers les seigneurs qui les avaient amenés. La France, quand elle réorganisait à peu près le gouvernement de l’Acadie, ne faisait luire un rayon d’espoir à leurs yeux que pour les replonger bientôt dans une détresse plus profonde. Elle y envoyait quelques soldats (choisis parmi les pires de l’époque). mais ils n’obtenaient d’autre résultat que de provoquer les Anglais et d’attirer de nouveaux ravages. La