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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

Dans nos jeux, c’est lui qui dirigeait toujours. Il organisait nos parties de plaisir, nos expéditions, voire nos mauvais tours, dont il prenait la direction et… la responsabilité.

Personne ne songeait à lui disputer la supériorité. On le reconnaissait naturellement pour chef, parce qu’il était né avec le tempérament d’un chef.

À l’école, puis au collège, il continua encore à être à la tête de tous ses camarades.

Toujours le premier de la classe, il semblait atteindre ce résultat sans aucun effort. L’étude ne lui coûtait pas : c’était pour lui un autre sport.

Nous achevions à peine nos études que la guerre éclatait. Tout de suite, Hughes songea à s’enrôler, non pas, comme on le criait alors, par patriotisme, puisque notre pays n’était pas en cause ; ni pour sauver la civilisation, car il en savait assez déjà pour être bien persuadé que d’autres pays que l’Allemagne rêvaient de s’assurer l’hégémonie du monde, que l’Angleterre, entre autres, ne se battait que pour se défaire d’un concurrent dangereux. Simplement, sa nature ardente le portait à rechercher le danger, ou les aventures. Peut-être aussi, comme dans mon cas, le sens de la race s’éveillait-il en lui et le forçait-il à aller combattre le vieil ennemi du sang français.

Toujours est-il que, dès l’organisation du corps des aviateurs canadiens, il s’enrôla et je le suivis.

Inutile de vous raconter ces sombres années de la guerre qui auraient dû, pour toujours, pour longtemps en tout cas, régler le sort du monde, si une paix imbécile, fabriquée à grand’peine par un fou illuminé comme Woodrow Wilson, une girouette démagogique comme Lloyd George et un patriote peu clairvoyant tel que Georges Clemenceau, n’avait détruit le résultat de notre victoire.

Qu’il me suffise de vous dire que Hughes Dufresne fut de tous les combats, toujours aux endroits les plus dangereux. Il était devenu célèbre et les fokkers le craignaient par-dessus tous, quand ils apercevaient son petit avion de combat à la tête d’une escadrille.

Il rapporta de cette aventure, avec de nombreuses décorations, un esprit mûri, une grande compréhension de la nature humaine, puisée au spectacle de la douleur dont il fut témoin, et un jugement encore plus aigu.

Rentré chez lui, il se donna avec ardeur aux affaires de son père, parcourant tous les degrés qui, de simple commis, le firent parvenir à la direction générale où il remplaça bientôt le vieux M. Dufresne.

Grâce à lui, l’entreprise, déjà florissante, prit une nouvelle envergure, de telle sorte qu’à vingt-neuf ans Hughes se trouvait à la tête d’une belle fortune et pouvait espérer de figurer à brève échéance dans la liste des millionnaires canadiens-français, qu’a dressée Olivar Asselin et qui s’allonge constamment.

Va sans dire, ce beau garçon, au surplus couvert de gloire, riche et dont l’avenir faisait rêver, était très populaire parmi les jeunes filles. Toutes enviaient secrètement de s’en faire aimer et… épouser.

Mais aucune n’avait réussi à le retenir dans ses filets. Il ne les fuyait pas, certes. Au contraire, il recherchait leur compagnie et rien ne lui plaisait tant qu’une belle femme intelligente. Cependant, son cœur ne se prenait pas. Ou plutôt, il s’éprenait souvent ; mais cela ne durait pas. Il avait beaucoup d’amourettes qui occupaient agréablement ses loisirs ; la grande passion, qui s’empare de tout l’être et engage la vie, ne s’était pas encore présentée.

Les sports n’avaient pas de plus fervent adepte. Il s’y livrait avec ardeur et y dépensait le surplus de force que les affaires ne pouvaient absorber.

C’est ainsi qu’il était resté fidèle à l’aviation. Pendant la guerre, il avait ressenti de mâles impressions à se voir au-dessus de la terre, à voler dans les airs. Il ne voulait pas en être privé dans la paix. Il faisait donc de l’aviation, mais pour son seul plaisir.

Parfois, quand il se sentait fatigué de sa vie trop consacrée aux soucis matériels et aux plaisirs, quand il sentait la nostalgie de l’espace, il s’envolait pour un jour ou deux dans les plaines de l’éther, ne faisant escale que dans des endroits déserts.

Ce fut au cours de l’une de ces équipées que se produisit l’accident dont je vous ai parlé et qui l’amena sur un îlot rocheux des grands Lacs.

Que vous dirais-je de plus ? Vous connaissez maintenant l’homme descendu de l’avion désemparé et qui sera le héros de mon histoire.

Ajoutez, cependant, pour compléter le portrait, qu’il était très cultivé, car ce diable de garçon trouvait, au milieu de toutes ses occupations, le temps de lire tous les bons auteurs, anciens ou modernes. Au fait des dernières publications littéraires et de toutes les idées d’actualité, sa curiosité se portait aussi bien