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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

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Un chant très doux, et néanmoins fort clair, frappait son oreille. Il était modulé par une voix chaude et cultivée et, dans la splendeur du couchant, ses notes prenaient une émotion poignante.

D’où pouvait venir ce chant ? L’île n’était donc pas tout à fait inhabitée ? L’énigme devenait de plus en plus obscure.

L’aviateur regarda tout autour de lui avec attention. Rien ne put lui révéler une présence humaine. Il crut avoir rêvé.

Et, néanmoins, la chanteuse, — car il s’agissait d’une voix de femme, — faisait toujours entendre ses accents mélancoliques.

De plus en plus intrigué, Hughes résolut d’en avoir le cœur net.

Il poursuivit dans la direction où il s’était engagé. Rendu au bout de la façade de l’édifice, il aperçut une partie du jardin qu’il n’avait pas encore vue, car elle était située dans un repli du terrain. Formant terrasse au bord extrême de la falaise, elle différait du reste par l’ordre qui y régnait. Évidemment, après avoir abandonné les autres parties, les propriétaires du lieu avaient cultivé celle-là avec soin, lui accordant leurs préférences.

Une femme s’y trouvait, assise sur un banc rustique, et les yeux tournés vers le large. C’est elle qui chantait.

Pour le coup, Hughes fut fasciné. De tous les étonnements de la journée, cette apparition constituait le plus prodigieux. Révélation de grâce, spectacle de splendeur, l’inconnue était un de ces êtres comme on en rencontre peu dans la vie. Sa beauté rayonnait d’un éclat souverain.

Arrêté en haut de la terrasse, Hughes admirait avec ferveur. Blonde dans la lumière crépusculaire, la femme aperçue soudain éveillait en lui des émotions encore inconnues.

Elle se leva bientôt, fit quelques pas vers le château et disparut tout à coup sans que le jeune homme pût dire où elle était passée. La vision avait été brusque ; elle s’évanouissait avec une égale soudaineté.

L’étonnement du jeune homme se transforma en ahurissement. Sérieusement, il se dit que tout cela tenait du surnaturel. Ou bien, était-il le jouet d’une hallucination ?


— VII —


Cherchant à reprendre pied dans la réalité, l’aviateur récapitula tous les éléments qui pouvaient le mettre sur la voie d’une explication plausible.

Un souvenir, d’abord très vague, se fit jour dans sa mémoire. Avec effort, il tenta de l’éclairer.

Cette île rocheuse et déserte ; ce château moyenâgeux et apparemment abandonné ; cet air de mystère ; cette femme à la beauté angélique, où, dans quel monde, à quelle époque les avaient-ils connus ? Car, il ne pouvait plus en douter, ils éveillaient en lui une lointaine ressouvenance. Ce n’était pas la première fois qu’ils sollicitaient l’attention de son esprit.

Mais il ne pouvait démêler comment ils avaient antérieurement passé dans sa vie. Est-ce que, comme le veut la doctrine de la métempsychose, il aurait vécu une autre existence avant celle-ci, au cours de laquelle se seraient produits les événements dont la mémoire lui restait ?

Cette pensée le fit sourire.

Peu à peu, il reconstitua ce qu’il savait de l’endroit où il était.

Et c’est alors qu’il se rappela l’histoire des amours de Renée Vivian et de John Kearns qu’on lui avait contée autrefois, comme nous l’a relatée, cet après-midi, M. Legault. Car vous pensez bien qu’elle est célèbre et connue de beaucoup de gens.

Il avait prêté une oreille distraite à ce qu’il qualifiait de « conte de fée pour grandes personnes » et c’est pourquoi il n’en avait pas gardé un souvenir bien net.

Maintenant il se la rappelait parfaitement et il en éprouva un plaisir sensible. Il lui était agréable, en premier lieu, de se retrouver en pays de connaissance, même lointaine. Surtout, il ne lui déplaisait pas de se trouver, pour ainsi dire, mêlé à un drame.

Mais sa joie fut de courte durée et il s’aperçut que son explication n’expliquait rien du tout. Au contraire, elle rendait le mystère plus profond, lui donnant même un aspect inquiétant.

N’est-il pas dit, en effet, dans la légende de John et Renée, que tous deux moururent ? Qu’ils se soient tués, comme le prétend une version du récit, ou qu’ils soient morts naturellement, comme le soutient M. Legault avec les tenants de la pureté irréprochable de Renée, peu importe. Le fait demeure qu’ils sont morts, au dire de tout le monde. Et peut-on croire que tout le monde se trompe sur un événement aussi essentiel ?

Voilà ce que se disait Hughes et ce n’était pas pour le rassurer.

Quelle était donc la femme qui chantait dans le crépuscule ? Hughes se rappela la