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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

« Le chauffeur me conduisit au port. Mais, là, sortie de la voiture, je constatai avec surprise, qu’il s’était arrêté auprès d’un yacht de plaisance.

— « Mais ce n’est pas ici que je vous ai dit de me conduire, lui fis-je remarquer.

« Avant qu’il m’eût répondu, deux hommes, venus je ne sais d’où, m’avaient soulevée de terre, me prenant chacun par un bras et, en deux bonds, m’avaient fait monter à bord du yacht.

« J’eus beau crier et me démener, on m’enferma dans un petit salon et le yacht se mit tout de suite en mouvement.

« Je compris alors et ma terreur fut grande. Je me rendis compte que je n’étais pas partie assez vite, malgré ma précipitation, pour échapper aux machinations de mes deux persécuteurs.

« On m’enlevait ! Pourquoi ? Qu’allait-on faire de moi ? Je me le demandais avec épouvante, pendant que, par le hublot, je voyais s’éloigner la terre.

« J’avais été trahie ! Tout mon plan avait été révélé ! Par qui ? Sans doute, par ma femme de chambre, qui m’avait aidée dans mes préparatifs.

« Évidemment, les bandits l’avaient payée très cher. Elle avait dû les prévenir de mon départ ; puis, quand je lui eus dit de téléphoner pour faire venir un taxi, elle avait appelé un chauffeur désigné par eux.

« Trahie ! Enlevée ! Et, cette fois, je ne pouvais m’échapper : ils me tenaient bien !

« Où me conduisait-on ? Que voulait-on faire de moi ?

« Les heures succédaient aux heures ; nous étions en pleine mer et personne ne s’était montré.

« Vers le soir, un homme âgé, vint m’apporter de la nourriture, mais refusa obstinément de répondre à mes questions.

« La nuit vint : nous voguions toujours. Je m’endormis, très tard, couchée sur un divan.

« Le voyage dura quatre ou cinq jours, sans que je fusse mieux renseignée. Je ne voyais toujours que le même domestique muet, et ne pouvais sortir du salon, qui, avec un cabinet de toilette communiquant avec cette pièce, constituait tous mes appartements.

« Enfin, je pus me rendre compte de la destination du bateau.

« Nous avions quitté la mer et pénétré dans un fleuve que je reconnus comme étant le Saint-Laurent. Je compris bientôt que nous nous dirigions vers les grands Lacs.


— XI —


— Le bateau se dirigea vers l’île où nous sommes. On m’y fit descendre et je vis alors que l’expédition était commandée par Jarvis.

« À bord se trouvaient également le domestique qui m’avait servie pendant le voyage et sa femme. Vous les connaissez : c’est le couple que vous avez rencontré depuis votre arrivée.

« Jarvis refusa de répondre à mes questions. Après avoir fait débarquer plusieurs caisses, il se rembarqua et le yacht repartit.

« Enfin, j’eus l’explication désirée : on m’avait faite prisonnière et je devais être détenue dans l’île, sous la garde du couple que vous savez !

« Il me fut difficile, tout d’abord, de m’expliquer les raisons de cet enlèvement.

« Mais, plus tard, mon gardien m’apporta des journaux où ma mort était annoncée.

« Une grande terreur m’a alors envahie. Je croyais qu’on m’avait amenée dans l’île pour m’assassiner plus commodément.

« J’ai ensuite réfléchi que, si l’on avait l’intention de me tuer, on l’aurait déjà fait. Au reste, mes geôliers ne me paraissaient pas sanguinaires.

« Je comprenais enfin l’idée de mes persécuteurs. Incapables de s’emparer de ma fortune au moyen du mariage, il ne leur restait qu’à attendre ma mort. Et, comme l’attente serait longue, il fallait hâter la fin.

« Par ailleurs, un meurtre est bien gênant. Il laisse toujours des traces que la police retrouve et qui conduisent à l’exécution capitale.

« Que faire ? C’est, alors qu’avait dû leur venir l’idée géniale : me retrancher pratiquement de la société, en me confinant dans une île, d’où je ne pourrais m’échapper et où personne ne viendrait jamais. Si la police s’en mêlait, on n’aurait qu’à me faire revenir et on éviterait toujours la chaise électrique.

« Telle est l’explication que je me suis forgée et tout indique qu’elle est plausible.

« Seulement, je me demande comment ils ont pu faire croire à ma mort. Ont-ils in-