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LAURIER ET SON TEMPS

« Je suis jaloux, en tant que Canadien-français, de nous voir éternellement devancés par nos compatriotes, d’origine britannique. Nous sommes obligés d’avouer que, jusqu’ici, nous avons été laissés en arrière. Nous pouvons l’avouer et l’avouer sans honte, parce que le fait s’explique par des raisons politiques qui n’accusent chez nous aucune infériorité… Mais les temps sont changés, et le moment est venu d’entrer en lice avec eux. Nos pères, jadis, ont été ennemis ; ils se sont fait, durant des siècles, des guerres sanglantes. Nous, leurs descendants, réunis sous le même drapeau, nous n’aurons plus d’autres combats que ceux d’une généreuse émulation pour nous vaincre mutuellement dans le commerce, dans l’industrie, dans les sciences et les arts de la paix. »…

Lorsque Laurier termina, dans une péroraison éclatante, son éloquente philippique, la Chambre lui fit une véritable ovation ; les applaudissements éclatèrent même dans les galeries. Jamais, depuis Siméon Morin — ce météore brillant si tôt disparu — personne n’avait fait dans la Chambre de Québec un début aussi triomphal. Le monde des lettres tressaillit à la vue de cette étoile de première grandeur qui se levait à l’horizon de la patrie, et salua avec transport les premiers accents d’une éloquence si classique, si parfaite.

Voici le portrait que je faisais de Laurier, à cette époque :

« Grand, mince, figure pâle, chevelure brune, souple, abondante, regard posé, un peu rêveur, physionomie douce, modeste et distinguée, un certain air de confiance ou de mélancolie qui inspire la sympathie…

« Voix sympathique et sonore, phrase claire, limpide, style vif, élégant, diction charmante, langage superbe, du beau français, des pensées élevées, des aperçus, des horizons lumineux, des coups d’aile magnifiques, quelque chose qui charme, intéresse et porte la conviction dans les âmes…