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LAURIER ET SON TEMPS

même son successeur, en leur suggérant de confier le drapeau libéral à Wilfrid Laurier.

Il semblait audacieux, dangereux même de mettre à la tête d’un parti, dans un parlement composé en si grande majorité de députés anglais et protestants, un Canadien-français catholique. Laurier fut le premier à signaler le danger, mais le sort en était jeté, il fallait que sa destinée s’accomplit. La Providence lui avait mis au front l’étoile du commandement. Vingt années d’étude, de réflexion, de bonne conduite et d’expérience l’avaient rendu capable de jouer le rôle brillant que ses concitoyens voulaient lui confier. Il était proclamé par une majorité anglaise et protestante, le plus digne d’être le chef d’un grand parti, et par conséquent de devenir, par le triomphe de ce parti, le premier ministre de son pays.

Le procédé généreux des libéraux anglais contribua considérablement à adoucir l’amertume des luttes religieuses et nationales qui sévissaient depuis quelques années, à calmer l’antagonisme national.

Ils n’eurent pas lieu de regretter leur générosité, car la province de Québec appréciant l’honneur qu’on lui faisait, se fit un devoir de se rallier autour de Laurier et de le porter au pouvoir.

La lutte fut longue, sir John n’était pas facile à déloger ; jamais premier ministre ne fut plus insinuant, plus sympathique, plus habile, plus roué, disons le mot.

Il réussit encore une fois à gagner les élections de 1891, en faisant appel à la loyauté des électeurs anglais, en cherchant à les convaincre que les projets de réciprocité, d’union douanière ou de zollverein, préconisés par une fraction du parti libéral, n’étaient que des projets déguisés d’annexion du pays aux États-Unis.

Dans un manifeste célèbre, le vieux malin protestait contre toute tentative de briser ou d’affaiblir les liens qui attachaient le Canada à l’Angleterre, et terminait en disant,