Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/12

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Oppressée, à mesure qu’elle avançait, son pas devenait plus lent.

Qu’allait-elle apprendre ?

De quel nature le roman ?

Quel serait le héros ?

Elle arriva place Saint-Germain-des-Prés. Ordinairement mouvementée, la placette était vide.

Elle quitta la rue Bonaparte, inclina à droite, regardant autour d’elle.

Quelques pas, et elle aperçut le bureau, sa façade vitrée, ses inscriptions, sa peinture noire.


« Lorsqu’on a un cœur droit comme le tien. »
Dans un jeu perpétuel, incessant, elle vit le public, un public affairé, entrer, sortir, céder le pas.

Elle s’arrêta, pourpre.

Se présenter à une poste restante.

Des pudeurs de femme honnête la rendaient hésitante, paralysaient ses mouvements, la rendaient gauche.

Encore, elle regarda autour d’elle pour s’assurer que personne ne la connaissait.

Allons ! un mouvement, un seul et le bureau était franchi.

Allait-elle, après une marche d’une demi-heure, manquant de courage, retourner sur ses pas ?

Une jeune femme passa auprès d’elle alerte, résolue.

Malcie la suivit.

La première se présenta délibérément à un guichet qu’elle avait l’air de connaître, demanda une lettre chiffrée.

Le cœur de la femme du capitaine Jean sauta.

Poste restante !…

Comme elle !…

L’employée prit dans un casier grillé une liasse d’enveloppes de toutes dimensions, les passa une à une jusqu’à ce que, d’un geste, il présentât sur la plaque en cuivre l’enveloppe demandée.

Prestement la lettre fut enlevée et la place devint libre, laissant Malcie étourdie devant le guichet.

— Et vous, madame ?

Blême, comme si elle allait défaillir, s’appuyant à la tablette, elle balbutia les deux initiales, ces deux lettres, les deux dernières de son nom que, depuis la veille, elle voyait partout.

La lettre était la deuxième du paquet.

Tremblante, la jeune femme glissa, timide, presque honteuse, dans le groupe qui stationnait auprès d’elle.

Elle soupesa le papier.

Elle le trouva lourd.

Où la lire, maintenant, cette lettre, cette prose qui lui brûlait les doigts ?

Ici même ?

Sur le trottoir ?

Là-bas, à la station d’omnibus ?

Rien ne lui parut suffisamment discret

Attendre son retour chez elle ?

Non.

Elle avait assez souffert, assez enduré.

Plus d’hésitation.