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« J’ai résolu de communiquer un roman qui vous intéressera.

« Consentez à le lire ou à m’écouter.

« R. H. »
« Bureau restant, 33,
« Rue de Rennes. »


La lettre ouverte entre ses mains, le regard vague, à quelques pas de la nourrice, Malcie resta interdite.

Toutes les phrases, lues lentement, dans un trouble fondu de curiosité et de stupéfaction, se heurtaient dans son esprit.

Que signifiait cette prose ?

Qui en était l’auteur ?

Pourquoi de simples majuscules à la place d’un nom ?

En tout cas, quelqu’un qui la connaissait qui s’était attaché à ses pas, quelqu’un qui était au courant de sa vie.

Elle chercha à se rappeler.

Non, elle ne se souvint pas d’avoir été suivie.

Quelquefois, auprès d’elle, une louange, une exclamation flatteuse avait caressé son oreille, mais sa beauté blonde ne s’en était jamais effarouchée.

Femme honnête, que pouvait lui faire l’admiration d’indifférents.

Follement aimée de Jean qu’elle adorait, son amour lui suffisait.

Pour la première fois, elle éprouva une sorte de gêne.

Cette lettre bizarre, énigmatique, mystérieuse que, jusque-là, elle avait gardée à demi-ouverte entre ses doigts assombrit son front calme.

Qui l’avait écrite ?

À mesure que les minutes atténuaient l’espèce de confusion suscitée par l’épistole les phrases se détachaient nettement dans son cerveau.

Mentalement, elle, répéta : « Toute créature doit être au courant de ce qui, de près ou de loin, la concerne ».

Qu’ignorait-elle ?

Chez elle, chez son père, chez sa mère, il n’y avait pas de secret.

Leurs existences s’écoulaient tranquilles, saines.

Pas de dessous angoissants.

Pas de compromissions troublantes.

Cependant l’inconnu insistait, insistait, insistant même avec amertume, avec ténacité.

Il écrirait encore si Malcie ne répondait pas.

Son teint laiteux de jolie blonde se colora.

Écrire à un homme qu’elle ne connaissait pas ?

Lui écrire poste restante ?

Jamais !…

Jamais !…

La vision de Jean, la guettant, l’épiant, suivant ses mouvements, son expression, pendant qu’elle lirait la lettre, la bouleversa.

— Jamais ! répéta-t-elle.

Cette simple feuille blanche qu’il lui demandait ne deviendrait-elle pas une preuve, une compromission ?

Pouvait-elle la lui faire parvenir, cette feuille banale, sans tracer l’adresse, les deux initiales qui l’obsédaient ?

Ce jeu là, elle ne le jouerait pas.

Cependant, en arrivant avenue Marigny, elle se dit qu’il y avait de la délicatesse dans la prose claire, mesurée du mystérieux personnage…

Il évitait de la rencontrer.

Il avait fui son regard pour ne pas attirer l’attention du capitaine Jean.

Encore une fois, que signifiait tout cela ?

La malheureuse petite femme ne pouvait sortir du labyrinthe dans lequel ses pensées la jetaient.


Elle ne pouvait échapper à l’angoisse qui, fatalement, devait lui tordre le cœur avec le souvenir de la dernière phrase :

« Un roman qui vous intéressera ».

Brusquement elle s’arrêta.

Elle vit rouge.

Jean !… Jean peut-être ?

Un roman dont Jean serait le héros !