Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’Hallon, née Angèle Landry, libre à vous de ne pas m’abandonner comme un paria.

Assommée, elle se tut.

Comme la vie était amère !

Quelles heures décevantes elle ménageait !

Une lutte atroce se livrait en elle.

Sa mère !… Pareille infamie !…

Sa mère, heureuse, souriante, qui vivait une vie de mensonge !…

Au fur et à mesure de ses pensées, elle interrogea :

— Vous m’avez dit que votre père n’était plus ?

— Oui.

— En êtes-vous certain ?

— Absolument. J’ai fait des démarches.

— Où est-il mort ?

— Au Gabon.

— Comment l’avez-vous su ?

— Envoyé là-bas en mission, par le gouvernement, il s’adonnait, lui aussi, à la peinture. Arrivé à son poste, il s’est aperçu que des couleurs lui manquaient. Il a écrit à Adrienne qui lui a adressé ce qu’il désirait. Le colis est revenu portant la mention : « Décédé ».

…Par le même courrier, grâce à l’adresse que mon père portait constamment sur lui, le ministère des colonies avisait Adrienne de la mort.

D’une voix basse, chaude, persuasive, Roger ajouta :

— Vous avez foi en moi, n’est-ce pas !

…Maintenant que le coup est porté, que le choc s’est produit, ne voyez dans la révélation aucune œuvre de chantage.

…Oh ! vous me tueriez si vous suspectiez ma loyauté.

…Non, non, je ne suis pas capable de pareille infamie.

Sans lever les yeux, elle dit :

— Je ne doute pas !… Mais ça été si brusque, si imprévu ! Il ne faut pas m’en vouloir, j’ai besoin d’asseoir mes idées, de réfléchir ! Je suis bouleversée ? Voulez-vous me donner cette lettre ?

— Pourquoi faire ?

— Pour la relire.

À quoi bon ! Pour renouveler votre souffrance ? C’est assez, c’est beaucoup trop. Je vous en conjure, dites-moi que vous ne m’en voulez pas.

Elle l’écoutait à demi.

Il reprit :

— Je vous ai expliqué, n’est-ce pas, que si ç’avait été pour moi seul, je n’aurais tenté aucune démarche. À bout de luttes, sans affection autour de moi, sans but de la vie, ma décision aurait été prise. Le grand fleuve qui traverse Paris n’est pas loin. Deux vagues auraient fait office de linceul. En ne me voyant pas, ma concierge se serait inquiétée. Elle aurait averti la police… Personne n’aurait entendu parler de moi. C’eût été fini… Mon cas est différent.

…Je vous l’ai avoué : j’aime et je crois être aimé. Qu’auriez-vous fait à ma place ?

— Le désespoir n’est jamais permis, balbutia Malcie, les lèvres blêmes.

— Il ne me restait alors qu’une solution : celle de me présenter à l’hôtel de madame d’Hallon.

…J’en ai été tenté plusieurs fois.

— Vous avez bien fait d’user de ménagements, soupira la pauvre petite femme. Je vous en supplie à mon tour. Il me faudra peut-être du temps, de la patience… Vous n’êtes pas seul, maintenant.

…Ayez du courage. Je tâcherai d’en trouver suffisamment pour le devoir qui m’incombe.

— Pardon ! Pardon ! vous êtes ma sœur, mais ce titre, je ne vous le donnerai que lorsque vous m’y autorisez, noble créature qui me tendez la main. Je suis l’épave !… Vous ne rougirez pas de moi, je vous le promets. Imposez ce que vous voudrez… D’avance je vous le promets.

…Prenez quelques jours. Réfléchissez… Vous me ferez part ensuite de vos pensées. Je ne veux pas être une entrave dans votre vie.