Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/43

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Pouvait-elle dire que sa mère avait abandonné son enfant et que sourire et entrain cachaient depuis six ans une faute ?

Oui, elle avait un secret, et quel secret, puisque la divulgation tuerait du coup, la confiance de cet homme aux cheveux blancs, son père !… puisque la divulgation de ce qu’elle a entendu là-bas, apporterait ici chagrin, déshonneur, honte !…

Elle ne protesta pas, convaincue que quelques heures de repos la calmerait !…

Après, peut-être verra-t-elle clair dans la situation et sera-t-elle à même de parer les coups.

Il en eût été ainsi, si Jean qui aimait n’avait pas été atteint par le sentiment qui torture, aiguillonne, arme, fait commettre des folies…

Mais, pour lui, la situation devient intolérable. Il ne veut plus se débattre dans le doute et les énervantes suppositions. Il résolut d’en finir.

Il projette de se rendre le jour même rue Notre-Dame-des-Champs.

Il interrogera la concierge.

Il paiera.

Qui résiste à la puissance de l’or ?

Son projet caressé, prêt à l’exécution, lui parut pècher par la base.

Quel atout a-t-il en mains ?

Pas même le nom de l’amant.

Et puis, celui-ci peut le connaître, lui Jean d’Anicet. Ne suffit-il pas d’un hasard pour les mettre en présence ?

Malcie sera prévenue.

Les rendez-vous auront lieu ailleurs.

Inutile d’embrouiller l’écheveau… Jean connaît le mot. C’est au nid qu’il prendra les amoureux.

Cette idée lui paraît la meilleure. Il attendra le moment favorable pour agir.

Malcie souffrante, garde plusieurs jours l’appartement, puis elle décide de revoir Roger.

Cependant, avant de se jeter, confiante, dans la voie nouvelle, elle veut questionner sa mère.

Un mot des hésitations appuieront le roman, et Malcie, qui ne doute maintenant qu’à demi, agira plus délibérément.

Le hasard lui tend la main.

Mme d’Hallon arrive, résolut, haute, en femme à qui rien ne résiste, et qui a toujours triomphé des difficultés.

Elle rentre.

Chapeauté très élégamment, vêtue d’un superbe foulard en feuille morte, elle se jette dans un fauteuil, face à la jeune femme.

— Eh bien ! toujours casanière !

— Aujourd’hui encore. Cependant j’ai décidé de reprendre demain mes sorties.

— Je ne comprends pas que vous puissiez rester quatre jours consécutifs calfeutré dans un appartement. La houle qui vous arrive par-dessus les toits ne vous enivre donc pas ?

— Non.

— Ce flot incessant, cette foule dont vous entendez le remous ne vous attirent pas non plus ? Autant d’aller vivre en Savoie, en Auvergne, dans un désert.

— Pas tout à fait.

— Voyons, je ne comprends Paris que pour lui-même, c’est-à-dire son mouvement, son ambiance, l’engrenage auquel on ne peut résister. Le soir, vous ne préparez donc pas vos lendemains ?

— Quelque fois. Il y a cependant des lendemains qui ne peuvent répondre aux calculs de la veille.

— Quand vous me verrez rester la moitié d’une semaine chez soi, vous pourrez dire que votre mère ne va pas du tout.

— Il me semble que vous n’avez pas toujours aimé autant à vous dépenser.

— Moi ? Le mouvement, l’air, la lumière ont toujours été ma vie !… Même quand j’étais jeune, je raisonnais ainsi. De l’action, toujours de l’action.

— Certains devoir forcent à mettre de côté des sorties purement mondaines.

— Vous avez toujours été un peu collet monté, vous !… Je ne sais vraiment pas de qui vous tenez !

— Moi collet-monté ! Oh ! par exemple !