Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/62

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Le ton de Berthe se manifestait un peu agressif, contrairement à son habitude.

Elle en voulait à ceux qui se mettaient en travers de ses rêves.

D’un ton de doux reproche, Mme Méen objecta :

— L’imprévu te surexcite un peu. Cela me surprends. Tu devrais être contente d’une démarche qui, en somme, est flatteuse pour nous. Nous en reparlerons. Tu réfléchiras. Nous réfléchirons tous.

— Je tiens à te dire, maman, que je ne me marierai jamais avec quelqu’un que je n’aimerai pas.

— Je ne t’imposerai pas cela, mon enfant. Tu es assez raisonnable, n’est-ce pas pour ne pas rêver des folies. Les princes charmants n’existent que dans les imaginations exaltées. Les ciels sans nuages qui surplombent les nids d’amour dans les mansardes ne sont que dans les contes de fées.

Berthe regarda sa mère qui continua :

— Certes, je me garderai de mettre en avant la question pécuniaire. Cependant, crois-moi, on ne peut pas être heureuse sans un peu d’aisance, car la vie est pleine d’exigences, ma petite.

Rougissante, Berthe balbutia :

— Lorsqu’on n’est pas suffisamment riche pour se reposer du matin au soir, on travaille.

…Ce monsieur Blégny, qui a bien voulu penser à moi, ne doit pas être millionnaire, car ses yeux ne se seraient pas arrêtés sur Berthe Méen. Il travaille, n’est-ce pas ? Ingénieur agronome ? Je ne sais pas trop ce que c’est. C’est sans doute un diplôme qui ouvre une carrière qui empêche de mourir de faim.

Mme Méen n’insista pas. Le raisonnement de sa fille qui discutait, comme de parti pris, tous les avantages que celle-ci s’efforçait de faire ressortir, la jetèrent dans de profondes réflexions, d’où une interrogation constante.

Le cœur de Berthe aurait-il parlé ?

Sûre du contraire elle ne s’y arrêtait pas.

De temps en temps, dans la soirée, des phrases lancées sur la demande n’amenèrent pas plus d’effervescence du côté de Berthe.

La mère réfléchit une partie de la nuit. Berthe en fit autant, car, le lendemain, la pauvre petite était toute pâle.

Ses yeux étaient cernés. Sa prunelle brillait comme si elle avait la fièvre.

Dans la matinée, la mère et la fille allaient reprendre l’important sujet lorsque la sonnette de l’appartement annonça une visite.

La pâleur de Berthe s’accentua encore.

Elle ne fit pas un mouvement.

Se trompait-elle ?

Était-il possible qu’une autre personne possédât le même coup, amenât la même vibration !… ou bien, était-elle si hantée de la pensée qui lui avait tenu ses paupières ouvertes, qu’elle ne pouvait songer à nulle autre qu’à celui qu’elle aimait.

— Eh bien, Berthe, va donc !…

La chère enfant se demanda si elle pourrait avancer. Ses jambes étaient comme du coton.

 

Il y avait juste trois semaines que Maurice et Roger ne s’étaient pas rencontrés. Le temps paraissait long à celui-ci.

Comme il n’était plus l’irrésolu de jadis qui se laissait dérouter par le plus petit obstacle, il partit pour la rue de Ponthieu par une matinée ensoleillée, un de ces matins où il semble qu’il ne devrait y avoir sur terre que joie, bonheur, santé.

Lorsque Berthe eut ouvert lentement, toute tremblante, elle vit Roger.

Son cœur ne l’avait pas trompée.

Dans la pénombre du vestibule, le peintre prit la main de la jeune fille. L’étreinte manifesta la joie qu’il éprouvait de la revoir.

Il entra.

— Tiens, c’est vous, monsieur Roger ?