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— Dans ce cas, il faut, en effet, un succès… On réfléchira !… On réfléchira !…

 

Les toiles des Artistes français sont exposées dans le Salon de l’avenue Nicolas II.

Chaque juré a donné son avis.

Le jury, en groupe, commença ses opérations.

Il se tient derrière le cordon qui fixe la distance, va, vient, discute, se prépare au vote.

Accepté ? refusé ? ajourné ? L’avenir de Roger est dans ces trois mots.

Renaud a dit espérer, mais le vieil ami ne fait pas parti de la commission et ils sont légion ceux qui se sont fait recommander, et qui, d’une façon ou d’une autre, ont attiré sur leur œuvre ou leur personne une attention.

La toile de Roger occupe une longueur de deux mètres de long.

C’est un paysage ensoleillé où se silhouette une femme qui soigne un soldat français.

La toile est intitulée : Compassion.

Sur le tronc d’un arbre ce seul prénom : Roger.

Un an de travail a été nécessaire à l’exécution.

Les toiles sont nombreuses, en général, bonnes.

Le jury est exténué.

L’attention excessive, exagérée, au début de l’examen, décline, devient moins scrupuleuse. Les cerveaux ont besoin d’une relâche. Ils se ressentent de la fatigue physique.

Et pourtant que d’avenirs, de destinées, dépendent de l’appréciation.

Un homme qui, dans le palais, se promène silencieux, se rend compte de la lassitude.

C’est Renaud.

Sur le talent de son protégé, il s’est obstiné, il n’a pas voulu le recommander.

Il n’a pas parlé à personne de Compassion. Il devient nerveux, irrité, s’arrête et regarde le groupe.

Les jurés circulent à droite, à gauche. Les discussions s’échauffent.

Le président agite la sonnette.

Personne n’a l’air de la voir, la toile du jeune artiste !…

Refusée d’avance comme ces choses vouées à la Fatalité avant d’éclore ?

Les remords assaillent le maître.

Compassion est un chef-d’œuvre, Compassion ne peut passer inaperçu.

Si pareille infamie est commise, il demandera un jury spécial. Il mettra en avant la presse.

À quoi bon, puisqu’il sera trop tard ?

Il s’en veut.

Pourquoi n’a-t-il pas agi ?

Ce mot n’avait pas été dit.

Renaud n’y tint plus.

Il n’influencera pas le jury. Il ne le peut maintenant, mais ce qu’il a sur le cœur, il ne partira pas sans le communiquer au président.

Il se dirige vers lui.

— Mon cher président, déclare-t-il, voilà une heure que vos jurés s’escriment devant les œuvres de nos artistes français. Il y en a une qui s’impose, qui arrête le regard par le talent avec lequel elle a été brossée.

… Je n’ai pas vu un seul juré y donner une minute d’attention.

— De quelle toile parlez-vous, cher maître ?

— Tenez, elle est cependant superbement placée cette toile. Une femme, un soldat, Compassion, quoi.

— Son sort est déjà décidé.

Tous deux se regardent.

Renaud enlève son chapeau, un immense feutre gris qui encadre très artistement sa barbe et ses cheveux tout blancs.

Son pâle visage rosé d’émoi.

L’anxiété de son regard est une interrogation.

— Les avis ont été unanimes, continua le président. Si l’œuvre appartient à un