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« Mais le tambour battait toujours et on les poussa vers les bâtiments stationnés dans la rivière. 260 jeunes gens furent désignés d’abord pour être embarqués sur le premier bâtiment ; mais ils s’y refusèrent, déclarant qu’ils n’abandonneraient pas leurs parents, et qu’ils ne partiraient qu’au milieu de leurs familles. Leur demande fut rejetée, les soldats croisèrent la baïonnette et marchèrent sur eux ; ceux qui voulurent résister furent blessés, et tous furent obligés de se soumettre à cette horrible tyrannie.

« Depuis l’église jusqu’au lieu de l’embarquement, la route était bordée d’enfants, de femmes qui, à genoux, au milieu de pleurs et de sanglots, bénissaient ceux qui passaient, faisaient leurs tristes adieux à leurs maris, à leurs fils, leur tendant une main tremblante, que leurs parents parvenaient quelquefois à saisir, mais le soldat brutal venait bientôt les séparer. Les jeunes gens furent suivis par les hommes plus âgés, qui traversèrent aussi, à pas lents, cette scène déchirante ; toute la population mâle des Mines fut jetée à bord de cinq vaisseaux de transport stationnés dans la rivière Gaspareaux. Chaque bâtiment était sous la garde de 6 officiers et de 80 soldats. À mesure que d’autres navires arrivèrent, les femmes et les enfants y furent embarqués et éloignés ainsi, en masse, des champs de la Nouvelle-Écosse. Le sort aussi déplorable qu’inouï de ces exilés excita la compassion de la soldatesque même… Pendant plusieurs soirées consécutives les bestiaux se réunirent autour des ruines fumantes, et semblaient y attendre le retour de leurs maîtres, tandis que les fidèles chiens de garde hurlaient près des foyers déserts. »

M. St.-Aubin, comme toutes les autres notabilités, fut l’objet d’une surveillance particulière. Malgré les efforts héroïques de Jean Renousse, malgré les ruses et les stratagèmes qu’il employa pour sauver son maître de la proscription, celui-ci fut obligé de subir la loi cruelle du plus fort. Blessé grièvement dans la lutte qui venait d’avoir lieu, ce ne fut qu’avec peine que Jean Renousse lui-même réussit à se soustraire aux mains des ravisseurs. Il gravit une petite éminence, et ce fut là, la mort dans l’âme, qu’il fut témoin des scènes de violence et de brutalité qui viennent d’être racontées. Malgré son état de faiblesse, il suivit d’un œil morne et désespéré la chaloupe qui emportait son bienfaiteur, se reprochant amèrement de n’avoir pas réussi à le sauver. En dépit des tristes préoccupations auxquelles il était