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Les heures s’écoulaient lentement, et la soirée était avancée. Vaincue par le sommeil, la petite s’était endormie, en demandant à sa mère : « quand donc papa reviendra-t-il ? » Alors deux larmes involontaires vinrent briller aux paupières de la pauvre femme ; elle pressa avec transport son enfant sur son cœur ; celle-ci ouvrit les yeux, lui sourit doucement, et comme une prière, le mot papa s’échappa encore de ses lèvres, et elle se rendormit. C’en était trop ; n’y pouvant plus tenir, et presque sans pouvoir s’en rendre compte, Madame St. Aubin se mit à fondre en larmes.

Longtemps elle pleura, quand des pas bien distincts retentirent autour de la maison, et la porte s’ouvrit : Te voilà donc enfin, s’écria-t-elle, s’élançant au-devant de celui qui arrivait. Mais jugez de sa stupeur ! c’était Jean Renousse ! Jean Renousse, pâle, sanglant et défiguré, qui venait lui apprendre la terrible nouvelle !  !……

Bien des fois déjà et au moindre bruit, elle avait tressaillie, puis toute palpitante d’émotion et de joie, elle allait ouvrir et tendre les bras ; mais vain espoir, ce n’était point les pas du cheval, ce n’était point non plus les joyeux aboiements de Phédor, mais bien le vent qui, mugissant tristement dans les arbres, lui apportait, chaque fois une poignante déception.

La foudre tombée à ses pieds n’eût pas produit plus d’effets. Madame St.-Aubin s’affaissa sur elle-même. On la transporta mourante dans son lit. Deux jours entiers se passèrent pendant lesquels elle lutta contre la mort. Dans son délire, elle appelait avec transport son mari, demandant avec égarement à chaque instant aux personnes qui se présentaient, son époux bien-aimé ; et lorsqu’on lui apportait son enfant, elle la repoussait durement. La pauvre petite qui ne comprenait rien à la conduite étrange de sa mère, allait alors se cacher dans un coin de la chambre, elle pleurait amèrement ; et comme si elle se fût crue coupable, elle revenait auprès du lit, baisant les mains de sa mère, elle lui disait : « Ma bonne maman, embrasse-donc encore ta petite Hermine, elle ne te fera plus de mal, lève-toi et allons au-devant de papa. » Enfin, son tempérament et surtout l’idée de laisser sa pauvre enfant complètement orpheline, rendirent quelques forces à Madame St.-Aubin, mais une insurmontable tristesse s’empara d’elle, et bientôt cette demeure naguère si heureuse ne devint plus qu’un séjour de deuil et de larmes.

Là toutefois ne devaient pas s’arrêter ses malheurs.