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La nourriture du bord n’était pas celle à laquelle Madame St.-Aubin était accoutumée ; comme de raison ordre avait été donné au cuisinier de ne servir qu’une nourriture ordinaire à la passagère de chambre. Aussi lorsque l’enfant voyait sur la table quelque chose qui flattait son goût, qu’elle en demandait une toute petite part au Capitaine, celui-ci ne l’entendait pas, ce plat était pour lui. Souffrir pour soi-même, ce n’est rien pour la mère, mais voir souffrir son enfant et n’être pas capable de lui donner ce dont elle a besoin, voilà la souffrance réelle que ne comprennent que celles qui l’ont ressentie. Dans ces moments la pauvre mère pressait son enfant sur son cœur et priait de toutes ses forces celui à qui nous demandons le pain de chaque jour, secours et protection.

Comme si cette prière devait être immédiatement exaucée elle vit un jour un matelot aux formes athlétiques, mais à la figure franche et ouverte, tenant sa casquette sous son bras, qui s’approchait d’elle et lui dit : « Madame, si vous voulez me prêter la petite, je vais l’emmener dans la cuisine, O’Brien m’a dit qu’il lui avait préparé un fameux déjeûner. » Ce fut avec joie qu’elle lui abandonna son enfant, et peut-être dut-elle appréhender que le matelot, par crainte de faire mal à la petite, en la tenant dans ses bras, ne la laissât choir. Quelle fut la macédoine qu’O’Brien servit à l’enfant ? Dieu seul le sait ; mais toujours est-il qu’en revenant elle dit à sa mère : « Viens donc, ma bonne maman, dans la cuisine, l’homme qui nous y fait la nourriture n’est pas mauvais comme les autres ; et je t’assure qu’il m’en avait préparé un bon déjeuner. » Peu d’instants après, O’Brien arriva lui-même tenant gauchement un pot rempli d’excellent thé qu’il destinait à Madame St.-Aubin.

Il était facile de voir quels efforts il avait faits pour que tout parut net et convenable. Le pot était dépoli par les frictions répétées pour le rendre luisant et ses mains étaient presqu’exemptes de goudron. Le regard de gratitude qu’elle lui adressa en dit plus que ses paroles. Il y a chez les hommes de cœur un langage particulier qui fait qu’ils se devinent et s’entr’aident au besoin. Le remercîment qu’elle lui exprima, lui fit venir les larmes aux yeux. Deux protecteurs étaient maintenant acquis à Madame St.-Aubin. Tom, le fort et robuste matelot et O’Brien le cuisinier. Le premier était respecté de l’équipage du vaisseau, car il avait dans maintes occasions prouvé une force véritablement herculéenne.