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qu’il lui serait beaucoup plus facile, dans cet endroit, d’avoir des nouvelles du bâtiment qui avait emmené son mari. Elle partit donc avec son enfant et ce fut moi qui les conduisis à bord. Je demandai comme une faveur de me laisser prendre place parmi l’équipage, m’offrant de me rendre utile autant que je le pourrais. Ma demande fut accueillie par les huées du capitaine et des matelots ; brutalement on me rejeta dans ma berge. Longtemps je suivis le navire des yeux, ne sachant si je devais essayer de le suivre ; mais enfin triste et découragé je regagnai la terre. Désormais seul et abandonné de tous ceux que j’avais aimés, je me trouvai pris d’un indicible ennui et d’un profond sentiment de découragement. Mais il fallait sortir de cette position ; je pris mon fusil, j’avais une ample provision de munitions, et accompagné du pauvre vieux chien que tu vois là, je m’enfonçai dans les bois.

« Où allais-je, je n’en savais rien. Je marchai pendant bien des jours, je traversai une grande étendue de forêts ; enfin j’arrivai un soir sur le bord du fleuve, je ne savais où j’étais. En examinant l’endroit de tous côtés, j’aperçus une petite fumée qui s’élevait à quelque distance ; en m’en approchant je reconnus quelques cabanes de nos frères sauvages, où on m’accueillit volontiers. Ils allaient passer l’hiver à faire la chasse dans le Saguenay ; ne sachant moi-même que faire, ni où tourner la tête, je leur demandai de vouloir bien me donner place dans leurs canots. Ils y consentirent avec plaisir. Nous partîmes donc le lendemain matin, et quoique la distance fût grande, nous mîmes peu de temps à traverser le fleuve ; nous remontâmes le Saguenay, et de là nous gagnâmes les bois. Le gibier était très-abondant ; nous fîmes bonne chasse tout l’hiver.

« Un jour qu’accompagné de Phédor, j’avais parcouru une très-grande distance pour visiter mes trappes, j’avais tout en marchant chassé çà et là, et je me trouvai trop loin pour retourner au campe ; il fallut donc me construire un abri et je me mis à la besogne. Depuis à bonne heure dans la journée le chien avait disparu, et je commençais à craindre qu’il n’eût été étranglé par quelque ours, lorsque tout-à-coup il fondit sur moi comme un coup de vent ; il jappait, sautait, courait et reprenait toujours la même direction dans sa folle gaité, jamais je ne l’avais vu si joyeux. Certainement quelque chose d’extraordinaire se passait. Je saisis mon fusil, et m’élançai sur