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vue ont un horizon plus grand, plus étendu et plus animé. C’est la nature, en quelques endroits, belle de toute sa primitive beauté ; ailleurs, enrichie par la vie et l’activité que lui ont donné le travail et la main des hommes.

Mais de quinze à dix-huit lieues de Québec, en descendant le fleuve, vous rencontrez un écueil bien digne d’attirer votre attention : c’est La Roche Avignon, ou, comme d’autres l’appellent, La Roche Ah Veillons, à cause des dangers qu’elle présentait autrefois à la navigation, avant que le Gouvernement y fit construire un phare. Sur cet écueil vinrent se briser plusieurs vaisseaux d’outre mer, et beaucoup de familles canadiennes conservent encore un lugubre souvenir des naufrages de bâtiments côtiers qui y périrent.

Plus loin, en cinglant vers le sud, et avant que d’arriver au charmant village de Kamouraska, vous apercevez un cap, dont la vue vous frappe et vous impressionne péniblement. Son aspect est morne et sombre, les rochers qui le composent sont arides et dénudés, son isolement, le silence et la nature désolée et presque déserte qui l’environnent, son éloignement de toute habitation ; tout, enfin, concourt à jeter dans votre âme un malaise étrange et inexprimable. Quelques bas fonds qui l’avoisinent en rendent l’approche difficile, si impossible, non même aux bâtiments d’un faible tonnage. Ce Cap, c’est le « Cap au Diable. »

Mais d’où vient donc ce nom qu’enfants, nous ne pouvions entendre sans frémir ! A-t-il été le théâtre de quelques apparitions infernales, ou bien a-t-il servi de repaire à quelque bande de brigands ; et les bruits confus qu’on y entend ne sont-ils pas les cris de vengeance des victimes ensanglantées que l’on trouva à ses pieds, ou dans son voisinage ? personne ne le sait ; la justice des hommes a libéré les accusés : victimes et meurtriers sont aujourd’hui devant Dieu !

Mais vous eussiez trouvé qu’il le méritait bien d’être ainsi appelé, si, comme les habitants de la Petite Anse, en visitant leurs pêches la nuit, ou en attendant l’heure de la marée, vous eussiez entendu le vent s’engouffrer, avec un bruit sinistre, dans les obscures cavernes des rochers ; si vous eussiez entendu ses hurlements, lorsqu’il vient dans les tempêtes, se déchirer sur les branches desséchées de quelques arbres rabougris qui les couronnent ! D’autres fois et en d’autres endroits se trouvent