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qui ressentait la bienfaisante et divine influence que le Christianisme exerce sur ces peuples autrefois si féroces. En quoi consistait-il ce chant ? c’était une prière qu’on adressait à Marie, c’était la prière du matin, et chaque canot faisait chorus à la voix du premier chantre ; et les échos de la rive se renvoyaient les uns aux autres ces chants bizarres, sauvages et capricieux, qui n’avaient peut-être rien de bien mélodieux, mais qui devaient monter vers les cieux comme un parfum d’encens et d’ambroisie.

Pendant ce temps on pesait sur l’aviron, le léger canot volait sur les eaux et bientôt on arriva à Trois-Rivières.

Cette charmante petite ville n’avait pas alors l’aspect que l’industrie lui a donné depuis ; c’était un ravissant petit village composé de jolies maisons. Chacune des habitations était entourée d’un verger et d’un jardin potager. Dans le temps où nous parlons, à cause des faciles communications qu’elle avait par la rivière Matawin avec Ottawa, elle était un des postes les plus importants pour le commerce de pelleteries.

Depuis quelques années, un homme qu’on aurait pu dire jeune encore par l’âge, mais d’après l’apparence, vieilli par le malheur, était venu s’y établir ; c’était un commerçant qu’on disait déjà riche. Reconnu par tous et jouissant d’une réputation d’une grande probité et d’honneur, tout le monde reposait en lui la plus grande confiance. Son commerce avec les sauvages avait pris une telle extension, qu’il excitait presque la jalousie des maisons rivales, engagées dans la même ligne. Cependant sa conduite avait toujours été si honorable, que jamais un sentiment de malveillance n’avait pu être exprimé contre lui.

Souvent on l’avait vu, triste et abattu, verser des larmes abondantes, lorsqu’il se croyait seul et hors de la vue. Peu communicatif, on sentait qu’il devait y avoir en lui-même un foyer de douleurs qui avait fait blanchir ses cheveux ; mais personne n’attribuait ces rides aux remords qui laissent toujours ces empreintes. Le nom de cet homme, nous le devinons ; c’était M. St.-Aubin.

Et si nous ne craignions de fatiguer nos lecteurs par trop de citations, nous nous permettrions encore de leur dire que le vaisseau dans lequel il avait été embarqué fut un de ceux qui essayèrent d’aller aborder sur les bords de la Caroline du Nord, mais dont les habitants les repoussèrent. Il fut un de ceux qui