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JANVIER 1762

de l’infidélité d’une héroïne du Théâtre-Français[1]. M. Bertin[2] crut trouver dans cette belle ce qu’il cherchait vainement depuis si long-temps[3]. Il n’a rien épargné pour mériter la bienveillance de sa nouvelle maîtresse ; tout a été prodigué : mais l’excès de sa générosité n’a pu triompher d’une passion mal éteinte ; l’amant tyrannique régnait au fond du cœur, ses écarts ont disparu, on a oublié ses crimes : l’amour a réuni deux amans, qui, plus épris que jamais l’un de l’autre, présentent au public un événement qui fait l’entretien

    quête. — Favart, dans ses Mémoires (t. I, p. 195), nous a conservé la lettre de rupture que Sophie Arnould envoya au comte de Lauraguais. La voici : « Monsieur mon cher ami, vous avez fait une fort belle tragédie, qui est si belle que je n’y comprends rien, non plus qu’à votre procédé ; vous êtes parti pour Genève afin de recevoir une couronne de lauriers du Parnasse de la main de M. de Voltaire ; mais vous m’avez laissée seule et abandonnée à moi-même : j’use de ma liberté, de cette liberté si précieuse aux philosophes, pour me passer de vous. Ne le trouvez pas mauvais : je suis lasse de vivre avec un fou qui a disséqué son cocher, et qui a voulu être mon accoucheur dans l’intention sans doute de me disséquer aussi moi-même. Permettez donc que je me mette à l’abri de votre bistouri encyclopédique.
    « J’ai l’honneur d’être, etc. » — R.

  1. Mademoiselle Hus.
  2. De l’Académie des Belles-Lettres, auteur de l’Isle des fous (* Comédie-vaudeville en deux actes, jouée pour la première fois le 29 décembre 1760. Elle fut faite en société avec Anseaume qui est seul nommé. C’est une parodie de l’Arcifanfano de Goldoni. — R.), et trésorier des parties casuelles.
  3. M. Bertin avait cru long-temps posséder le cœur de mademoiselle Hus ; si les bienfaits avaient quelque droit sur celui d’une femme de cette espèce, il avait lieu de n’en point douter ; il avait fait en sa faveur une dépense prodigieuse. Cependant n’ayant pu se refuser aux soupçons dont on le tourmentait, il en avait vérifié la vérité, et avait trouvé son infidèle courbée dans sa maison de Passy, avec le fils de l’entrepreneur des eaux de ce lieu. Celui-ci s’étant fait jour l’épée à la main, cette aventure était devenue trop publique pour que M. Bertin pût vivre encore avec une femme qu’il regrettera peut-être toujours. On évaluait alors le mobilier de mademoiselle Hus à plus de 500 000 liv.