Page:De Banville - Les Stalactites.djvu/112

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L’Odelette est née en Grèce, aux premiers temps, pendant les heures perdues de la muse. Anacréon la dépêchait vers Bathylle sous l’aile de son pigeon messager. Elle a picoré, abeille mélodieuse, de Syracuse à Alexandrie, du verger de Moschos au jardin de Méléagre, et son aile a palpité sur la quenouille que Théocrite envoyait à Nicias. Horace n’offrait ni airain de Corinthe ni coupes d’or aux patriciens, ses patrons et ses hôtes, mais il leur dédiait des odelettes. Ainsi firent à leur tour, dans le cycle des croyants de l’Islam, tant de fumeurs de hachich, tant de buveurs d’opium, dont le Mètre solennisa les emportements et les extases. Lauréats de la foire d’Occadh ou courtisans des sultans de la Perse, exécutants de ghazels ou de pantoums, Hafiz ou Rabiah ben al-Kouden, Ferideddin Attar ou Chemidher-el-Islami, tous ces torrents de la poésie orientale ont disséminé dans le palais des souverains ou dans les harems des Fathmas et des Aïchas les limpides ruisseaux de l’Odelette. Ne sont-ce pas des odelettes encore que se renvoient de la tente à la tente, à travers les échos fraternels du désert, et les tolbas mélancoliques, et les chambis improvisateurs ? Sur les bords de la Loire, vers ce château qui se souvient d’Agnès Sorel, dans ces salles où Henri de Guise, dans sa suprême nuit, et attendant les assassins, fredonnait aux pieds de sa maîtresse l’odelette que Desportes avait rimée à ses frais : Rosette, pour un peu d’absence, Abd-el-Kader, prisonnier, a récité plus d’une odelette aux Agnès Sorel d’aujourd’hui !