Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/58

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La tartane n’avait point mouillé la veille et nous la perdimes de vue le soir pour ne plus la revoir. Elle revint à Montevideo trois semaines après, sans avoir rempli sa mission. La nuit fut orageuse, le pamperos souffla avec furie et nous fit chasser : une seconde ancre que nous mouillâmes nous étala. Le jour nous montra les vaisseaux espagnols, mâts de hune et basses vergues amenés, lesquels avaient beaucoup plus chassé que nous. Le vent était encore contraire et violent, la mer très grosse, ce ne fut qu’à neuf heures que nous pûmes appareiller sous les quatre voiles majeures ; à midi nous avions perdu de vue les Espagnols demeurés à l’ancre et le 3 mars au soir, nous étions hors de la rivière.

Nous eûmes, pendant la traversée aux Malouines, des vents variables du nord-ouest au sud-ouest, presque toujours gros temps et mauvaise mer : nous fîmes contraints de passer à la cape le 15 et le 16, ayant essuyé quelques avaries. D’ailleurs notre mâture exigeait le plus grand ménagement, la frégate dérivait outre mesure, sa marche n’était point égale sur les deux bords, et le gros temps ne nous permettait pas de tenter des changements dans son arrimage qui eussent pu la mettre mieux dans son assiette. En général les bâtiments fins et longs sont tellement capricieux ; leur marche est assujettie à un si grand nombre de causes souvent imperceptibles, qu’il est fort difficile de démêler celles dont elle dépend. On n’y va qu’à tâtons, et les plus habiles y peuvent prendre le change.

Depuis le 17 après-midi que nous commençâmes à trouver le fond, le temps fut toujours chargé d’une brume épaisse. Le 19, ne voyant pas la terre, quoique l’horizon se fut éclairci et que, par mon estime, je fusse dans l’est des îles Sébaldes, je craignis d’avoir dépassé les Malouines et je pris le parti de courir à l’ouest ; le vent, ce qui est fort rare dans ces parages, favorisait cette résolution. Je fis grand chemin à cette route pendant vingt-quatre heures et, ayant alors trouvé les sondes de la côte des Patagons, Je fus assuré de ma position et je repris avec confiance la route à l’est. En effet, le 21, à quatre heures après midi, nous eûmes connaissance des Sébaldes qui nous restaient au nord-est-quart-d’est à huit ou dix lieues de distance, et bientôt après nous vîmes la terre des Malouines.