Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/120

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L’homme vêtu de noir répondit :

— Ceux-là sont hérétiques qui suivent le culte de la Grande Proſtituée. Car le Pape eſt prévaricateur & vendeur de choſes saintes.

— Ah ! dit Soetkin, ne parlez pas si haut, monſieur : vous nous feriez brûler tretous.

— Donc, dit Claes, Joſſe a dit à ce bonhomme meſſager que, puiſqu’il allait combattre dans les troupes de Frédéric de Saxe & lui amenait cinquante hommes d’armes bien équipés, il n’avait pas beſoin, allant en guerre, de tant d’argent pour le laiſſer en la male heure, à quelque vaurien de landſknecht. Donc, a-t-il dit, porte à mon frère Claes, avec mes bénédictions, ces sept cents florins carolus d’or : dis-lui qu’il vive dans le bien & songe au salut de son âme.

— Oui, dit le cavalier, il en eſt temps, car Dieu rendra à l’homme selon ses œuvres, & traitera chacun selon le mérite de sa vie.

— Monſieur, dit Claes, il ne me sera pas défendu, dans l’entre-temps, de me réjouir de la bonne nouvelle ; daignez reſter céans, nous allons pour la fêter manger de belles tripes, force carbonnades, un jambonneau que j’ai vu tantôt si rebondi & appétiſſant chez le charcutier, qu’il m’a fait sortir les dents longues d’un pied hors la gueule.

— Las ! dit l’homme, les inſenſés se réjouiſſent tandis que les yeux de Dieu sont sur leurs voies.

— Or çà, meſſager, dit Claes, veux-tu ou non manger & boire avec nous ?

L’homme répondit :

— Il sera temps, pour les fidèles, de livrer leurs âmes aux joies terreſtres lorſque sera tombée la grande Babylone !

Soetkin & Claes se signant, il voulut partir :

Claes lui dit :

— Puiſqu’il te plaît de t’en aller ainſi mal choyé, donne à mon frère Joſſe le baiſer de paix & veille sur lui dans la bataille.

— Je le ferai, dit l’homme.

Et il s’en fut, tandis que Soetkin allait chercher de quoi fêter la fortune propice. La cigogne eut, ce jour-la, à souper, deux goujons & une tête de cabillaud.

La nouvelle se répandit bientôt à Damme que le pauvre Claes était, par le fait de son frère Joſſe, devenu Claes le riche, & le doyen diſait que Katheline avait sans doute jeté un sort sur Joſſe, puiſque Claes avait reçu