Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/179

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l’innocent. Où eſt le roi, que je lui arrache le cœur avec mes ongles ?

Les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts.

Soetkin entendit encore Claes jeter un grand cri, mais elle ne vit point son corps se tordant & criant à cauſe de la douleur du feu, ni son viſage se contractant, ni sa tête qu’il tournait de tous côtés & cognait contre le bois de l’eſtache. Le peuple continuait de crier & de siffler, les femmes & les garçons jetaient des pierres, quand soudain le bûcher tout entier s’enflamma, & tous entendirent, au milieu de la flamme & de la fumée, Claes diſant :

— Soetkin ! Thyl !

Et sa tête se pencha sur sa poitrine comme une tête de plomb.

Et un cri lamentable & aigu fut entendu sortant de la chaumine de Katheline. Puis nul n’ouït plus rien, sinon la pauvre affolée hochant la tête & diſant : « L’âme veut sortir. »

Claes avait trépaſſé. Le bûcher ayant brûlé s’affaiſſa aux pieds du poteau. Et le pauvre corps tout noir y reſta pendu par le cou.

Et les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts.


LXXV


Soetkin était chez Katheline debout contre le mur, la tête baſſe & les mains jointes. Elle tenait Ulenſpiegel embraſſé, sans parler ni pleurer.

Ulenſpiegel auſſi demeurait silencieux ; il était effrayé de sentir de quel feu de fièvre brûlait le corps de sa mère.

Les voiſins, étant revenus du lieu d’exécution, dirent que Claes avait fini de souffrir.

— Il eſt en gloire, dit la veuve.

— Prie, dit Nele à Ulenſpiegel ; & elle lui donna son roſaire ; mais il ne voulut point s’en servir, parce que, diſait-il, les grains en étaient bénis par le pape.

La nuit étant tombée, Ulenſpiegel dit à la veuve : — Mère, il faut te mettre au lit ; je veillerai près de toi.