Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/21

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— N’as-tu pas, demanda Claes, l’herbe qui appelle les florins ?

— Non, dit-elle.

— Donc, dit-il, je vais voir s’il n’y en a point dans le canal.

Il s’en fut, portant sa ligne & son filet, certain, au demeurant, de ne rencontrer perſonne, car il n’était qu’une heure avant l’ooſterzon, qui eſt, en Flandre, le soleil de six heures.


III


Claes vint au canal de Bruges, non loin de la mer. Là, mettant l’appât à sa ligne, il la lança à l’eau & il y laiſſa deſcendre son filet. Un petit garçonnet bien vêtu était sur l’autre bord, dormant comme souche, sur un bouquet de moules.

Il s’éveilla au bruit que faiſait Claes & voulut s’enfuir, craignant que ce ne fût quelque sergent de la commune venant le déloger de son lit & le mener au Steen pour vagations illicites.

Mais il ceſſa d’avoir peur quand il reconnut Claes & que celui-ci lui cria :

— Veux-tu gagner six liards ? Chaſſe le poiſſon par ici.

Le garçonnet, à ce propos, entra dans l’eau, avec sa petite bedondaine déjà gonflée, & s’armant d’un panache de grands roſeaux, chaſſa le poiſſon vers Claes.

La pêche finie, Claes retira son filet & sa ligne, & marchant sur l’écluſe vint près du garçonnet.

— C’eſt toi, dit-il, que l’on nomme Lamme de ton nom de baptême & Goedzak à cauſe de ton doux caractère, & qui demeures rue du Héron, derrière Notre-Dame. Comment, si jeune & si bien vêtu, te faut-il dormir sur un lit public ?

— Las ! monſieur du charbonnier, répondit le garçonnet, j’ai au logis une sœur plus jeune que moi d’un an & qui me daube à grands coups à la moindre querelle. Mais je n’oſe sur son dos prendre ma revanche, car je lui ferais mal, monſieur. Hier, au souper, j’eus grand’faim & nettoyai de mes doigts le fond d’un plat de bœuf aux fèves dont elle voulait avoir sa part. Il n’y en avait aſſez pour moi, monſieur. Quand elle me vit me pourléchant à cauſe du bon goût de la sauce, elle devint comme enragée & me