fleurs, princes des pierres, empereurs des mines, hommes des bois, eſprits de l’eau, du feu & de la terre crièrent enſemble : « Lumière ! séve ! gloire au roi Printemps ! »
Quoique le bruit de leur unanime clameur fût plus puiſſant que celui de la mer furieuſe, de la foudre tonnant & de l’autan déchaîné, il sonna comme grave muſique aux oreilles de Nele & d’Ulenſpiegel, leſquels, immobiles & muets, se tenaient recroquevillés derrière le tronc rugueux d’un chêne.
Mais ils eurent plus peur encore quand les eſprits, par milliers, prirent place sur des sièges qui étaient d’énormes araignées, des crapauds à trompe d’éléphant, des serpents entrelacés, des crocodiles debout sur la queue & tenant un groupe d’eſprits dans la gueule, des serpents qui portaient plus de trente nains & naines aſſis à califourchon sur leur corps ondoyant, & bien cent mille inſectes plus grands que des Goliaths, armés d’épées, de lances, de faux dentelées, de fourches à sept fourchons, de toutes autres sortes d’horribles engins meurtriers. Ils s’entre-battaient avec grand vacarme, le fort mangeant le faible, s’en engraiſſant & montrant ainſi que Mort eſt faite de Vie & que Vie eſt faite de Mort.
Et il sortait de toute cette foule d’eſprits grouillante, serrée, confuſe, un bruit pareil à celui d’un sourd tonnerre & de cent métiers de tiſſerands, foulons, serruriers travaillant enſemble.
Soudain parurent les eſprits de la sève, courts, trapus, ayant les reins larges comme le grand tonneau d’Heidelberg, des cuiſſes groſſes comme des muids de vin, & des muſcles si étrangement forts & puiſſants que l’on eût dit que leurs corps fuſſent faits d’œufs grands & petits joints les uns aux autres & couverts d’une peau rouge, graſſe, luiſante comme leur barbe rare & leur rouſſe chevelure ; & ils portaient d’immenſes hanaps remplis d’une liqueur étrange.
Quand les eſprits les virent venir, il y eut parmi eux un grand trémouſſement de joie ; les arbres, les plantes s’agitèrent, & la terre se crevaſſa pour boire.
Et les eſprits de la sève verſèrent le vin : tout, auſſitôt, bourgeonna, verdoya, fleurit ; le gazon fut plein d’inſectes suſurrants, & le ciel rempli d’oiſeaux & de papillons ; les eſprits verſaient toujours, & ceux d’en bas reçurent le vin comme ils purent : les filles-fleurs, ouvrant la bouche ou sautant sur leurs roux échanſons, & les baiſant pour avoir davantage ; d’aucuns, joignant les mains en signe de prière ; d’autres qui, béats, laiſſaient sur eux