Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/254

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Ulenſpiegel alors coucha l’oreille contre terre ; un payſan vint.

— Entends-tu du bruit là-deſſous ? lui dit-il.

— Oui, répondit Ulenſpiegel, j’écoute pouſſer le bois dont les fagots serviront à brûler les pauvres hérétiques.

— N’entends-tu plus rien ? lui dit un sergent de la commune.

— J’entends, dit Ulenſpiegel, la gendarmerie qui vient d’Eſpagne ; si tu as quelque choſe à garder, enterre-le, car bientôt les villes ne seront plus sûres à cauſe des voleurs.

— Il eſt fou, dit le sergent de la commune.

— Il eſt fou, répétèrent les bourgeois.


XIV


Cependant Lamme ne mangeait plus, songeant au rêve doux de l’eſcalier de la Blauwe-Lanteern. Son cœur tirant vers Bruges, il fut, par Ulenſpiegel, mené de force à Anvers, où il continua ses dolentes recherches.

Ulenſpiegel étant dans les tavernes, au milieu de bons Flamands réformés, voire même de catholiques amis de liberté, leur diſait au sujet des placards : « Ils nous amènent l’Inquiſition sous prétexte de nous purger d’héréſie, mais c’eſt à nos gibecières que servira cette rhubarbe. Nous n’aimons à être médicamentés que selon qu’il nous plaît ; nous nous fâcherons, révolterons & mettrons les armes à la main. Le roi le savait d’avance. Voyant que nous ne voulons point de la rhubarbe, il fera marcher les seringues, c’eſt-à-dire les grands & les petits canons, serpentins, fauconneaux & courtauds à groſſe gueule. Lavement royal ! Il ne reſtera plus un riche Flamand dans la Flandre ainſi médicamentée. Heureux nos pays d’avoir un si royal médecin. »

Mais les bourgeois riaient.

Ulenſpiegel diſait : « Riez aujourd’hui, mais fuyez ou armez-vous le jour où l’on caſſera quelque choſe à Notre-Dame. »