Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/298

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— Rencontré pèlerin droit comme peuplier… pèlerin blaſphémateur… boſſe dans le dos… boſſe enflammée !

Ce qu’entendant les pèlerins, ils pouſſèrent mille clameurs joyeuſes diſant :

— Monſieur saint Remacle, si vous donnez des boſſes, vous en pouvez ôter. Ôtez nos boſſes, Monſieur saint Remacle !

Dans l’entre-temps, Ulenſpiegel quitta son arbre. En paſſant par le faubourg déſert, il vit, à la porte baſſe d’une taverne, deux veſſies se balançant à un bâton, veſſies de cochon, ainſi accrochées en signe de kermeſſe à boudins, Panch kermis, comme l’on dit au pays de Brabant.

Ulenſpiegel prit une des deux veſſies, ramaſſa par terre l’épine dorſale d’une schol, les Français diſent plie sèche, se saigna, fit couler de son sang dans la veſſie, la gonfla, la ferma, la mit sur le dos & par-deſſus, plaça l’épine dorſale de la schol. Ainſi accoutré, le dos voûté, le chef branlant & les jambes flageolantes comme un vieux boſſu, il vint sur la place.

Le pèlerin témoin de sa chute l’aperçut & cria :

— Voici le blaſphémateur.

Et il le montra du doigt. Et tous de courir pour voir l’affligé.

Ulenſpiegel hochait la tête piteuſement :

— Ah ! diſait-il, je ne mérite grâce ni pitié ; tuez-moi comme un chien enragé.

Et les boſſus, se frottant les mains, diſaient :

— Un de plus en notre confrérie.

Ulenſpiegel, marmonnant entre ses dents : « Je vous le ferai payer, méchants », paraiſſait tout supporter patiemment, & diſait :

— Je ne mangerai ni ne boirai, même pour raffermir ma boſſe, juſqu’à ce que Monſieur saint Remacle m’ait voulu guérir comme il m’a frappé.

Au bruit du miracle, le doyen sortit de l’égliſe. C’était un homme grand, panſard & majeſtueux. Le nez au vent, il fendit comme un navire le flot des boſſus.

On lui montra Ulenſpiegel ; il lui dit :

— Eſt-ce toi, bonhommet, qu’a frappé le fléau de saint Remacle ?

— Oui, meſſire doyen, répondit Ulenſpiegel, c’eſt moi en effet son humble adorateur qui veut se faire guérir de sa boſſe neuve, s’il lui plaît.

Le doyen, flairant sous ce propos quelque malice :

— Laiſſe-moi, dit-il, tâter cette boſſe.

— Tâtez, meſſire, répondit Ulenſpiegel.

Ce qu’ayant fait, le doyen :