Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/320

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L’enfant pleurait.

Et la fillette mignonne continuait à se promener dans le clos, déplaçant & replaçant le linge.

— C’eſt une eſpionne, dit Lamme.

La fillette mettait les mains sur ses yeux &, souriant entre ses doigts, regardait Ulenſpiegel.

Puis, à pleines mains, relevant ses deux seins, elle les laiſſait retomber, & se balançait de nouveau sans que ses pieds touchaſſent le sol. Et les linges en se détreſſant la faiſaient tourner comme une toupie, tandis qu’Ulenſpiegel voyait ses bras nus juſqu’aux épaules, blancs & ronds au soleil pâle. Tournant & souriant, elle le regardait toujours. Il sortit pour l’aller trouver. Lamme le suivit. À la haie du clos, il chercha une ouverture pour y paſſer, mais il n’en trouva point.

La fillette, voyant le manège, regarda de nouveau souriant entre ses doigts.

Ulenſpiegel tâchait de paſſer à travers la haie, tandis que Lamme, le retenant, lui diſait :

— N’y va point, c’eſt une eſpionne, nous serons brûlés.

Puis la fillette se promena dans le clos, se couvrant la face de son tablier, & regardant à travers les trous pour voir si son ami de haſard ne viendrait pas bientôt.

Ulenſpiegel allait d’un élan sauter par-deſſus la haie, mais il en fut empêché par Lamme, qui, lui prenant la jambe, le fit choir, diſant :

— Corde, glaive & potence, c’eſt une eſpionne, n’y va point.

Aſſis par terre, Ulenſpiegel se débattait contre lui. La fillette cria, pouſſant sa tête au-deſſus de la haie :

— Adieu, meſſire, qu’Amour tienne pendante Votre Longanimité.

Et il entendit un éclat de rire moqueur.

— Ah ! dit-il, c’eſt à mon oreille comme un faiſceau d’épingles !

Puis une porte se ferma bruyamment.

Et il fut mélancolique.

Lamme lui dit, le tenant toujours :

— Tu énumères les doux tréſors de beauté perdus ainſi à ta honte. C’eſt une eſpionne. Tu tombes bien quand tu tombes. Je vais faire ma crevaille à force de rire.

Ulenſpiegel ne sonna mot, & tous deux remontèrent sur leurs ânes.