Quand Lamme aperçut Ulenſpiegel, il se dreſſa debout & sauta de trois pieds en l’air, s’écriant :
— Béni soit Dieu, qui me rend mon ami Ulenſpiegel ! À boire, baeſine !
Ulenſpiegel, tirant sa bourſe, dit :
— À boire juſqu’à la fin de ceci.
Et il faiſait sonner ses carolus.
— Vive Dieu ! dit Lamme, lui prenant subtilement la bourſe dans les mains, c’eſt moi qui paie & non toi ; cette bourſe eſt mienne.
Ulenſpiegel voulut de force lui reprendre sa bourſe, mais Lamme la tenait bien. Comme ils s’entre-battaient l’un pour la garder, l’autre pour la reprendre, Lamme, parlant par saccades, dit tout bas à Ulenſpiegel :
— Écoute : Happe-chair céans… quatre… petite salle avec trois filles… Deux dehors pour toi, pour moi… Voulu sortir… empêché… La gouge brocart eſpionne… Eſpionne Stevenyne !
Tandis qu’ils s’entre-battaient, Ulenſpiegel écoutant bien, s’écriait :
— Rends-moi ma bourſe, vaurien !
— Tu ne l’auras point, diſait Lamme.
Et ils se prenaient au cou, aux épaules, se roulant par terre pendant que Lamme donnait son bon avis à Ulenſpiegel.
Soudain le baes de l’Abeille entra suivi de sept hommes qu’il semblait ne connaître point. Il chanta comme le coq, & Ulenſpiegel siffla comme l’alouette. Voyant Ulenſpiegel & Lamme s’entre-battant, le baes parla :
— Quels sont ces deux-là ? demanda-t-il à la Stevenyne.
La Stevenyne répondit :
— Des vauriens que l’on ferait mieux de séparer que de les laiſſer ici mener si grand vacarme avant d’aller à la potence.
— Qu’il oſe nous séparer, dit Ulenſpiegel, & nous lui ferons manger le carrelage.
— Oui, nous lui ferons manger le carrelage, dit Lamme.
— Le baes sauveur, dit Ulenſpiegel à l’oreille de Lamme.
Sur ce, le baes, devinant quelque myſtère, se rua dans leur bataille tête baiſſée. Lamme lui coula en l’oreille ces mots :
— Toi sauveur ? Comment ?
Le baes fit semblant de secouer Ulenſpiegel par les oreilles & lui diſait tout bas :
— Sept pour toi… hommes forts bouchers… M’en aller… trop connu en ville… Moi parti, ’t is van te beven de klinkaert… Tout caſſer…