Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tu me dois reconnaiſſance de gueule : ne roule donc point contre moi des yeux si farouches.

Je t’apporterai tantôt une soupe à la bière & à la farine, bien sucrée, avec force cannelle. Sais-tu pourquoi ? Pour que ta graiſſe devienne tranſparente & tremble sur ta peau : on la voit telle quand tu t’agites. Maintenant voici que sonne le couvre-feu : dors en paix, sans souci du lendemain, certain de retrouver tes repas onctueux & ton ami Lamme pour te les bailler sans faute.

— Va-t’en & laiſſe-moi prier Dieu, diſait le moine.

— Prie, diſait Lamme, prie en joyeuſe muſique de ronflements : la bière & le sommeil te feront de la graiſſe, de la bonne graiſſe. Moi je suis aiſe.

Et Lamme s’allait mettre au lit.

Et les matelots & soudards lui diſaient :

— Qu’as-tu donc à nourrir si graſſement ce moine qui ne te veut aucun bien ?

— Laiſſez-moi faire, diſait Lamme, j’accomplis un grand œuvre.


V


Décembre étant venu, le mois des longues ténèbres, Ulenſpiegel chanta :

Monſeigneur Sa Grande Alteſſe
MonseignLève le maſque,
Voulant régner sur le pays belgique.
VouLes États eſpagnoliſés
VouMais non Angevinés
VouDiſpoſent des impôts ;
VouBattez le tambour
VouD’Angevine déconfiture.

Ils ont à leur diſcrétion
Domaines, acciſes & rentes,
Création des magiſtrats,
Et les emplois auſſi.