Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/74

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sont douces aux âmes du purgatoire, voire rafraîchiſſantes ; car chaque Ave eſt un seau d’eau qui leur tombe sur le dos, & chaque Pater eſt une cuvelle.

Et le peuple l’écoutait en grande dévotion, non sans rire.

À la fête de la Pentecôte, il dut encore suivre la proceſſion ; il était en chemiſe, nu-pieds & tête nue, & tenait un cierge à la main. À son retour, debout sous le porche & tenant son cierge reſpectueuſement, non sans faire quelques grimaces de gaudiſſerie, il dit à voix haute & claire :

— Si les prières des chrétiens sont d’un grand soulagement aux âmes du purgatoire, celles du doyen de Notre-Dame, saint homme parfait en la pratique de toutes les vertus, calment si bien les douleurs du feu que celui-ci se tranſforme en sorbets tout soudain. Mais les diables bourreaux n’en ont une miette.

Et le peuple d’écouter derechef en grande dévotion, non sans rire, & le doyen de sourire d’aiſe eccléſiaſtiquement.

Puis Ulenſpiegel fut banni du pays de Flandre pour trois ans, sous condition de faire un pèlerinage à Rome & d’en revenir avec l’abſolution du pape.

Claes dut payer trois florins pour cette sentence ; mais il en donna encore un à son fils & le fournit de son coſtume de pèlerin.

Ulenſpiegel fut navré le jour du départ en embraſſant Claes & Soetkin, qui était toute en larmes, la dolente mère. Ils lui firent la conduite bien loin sur le chemin, en la compagnie de pluſieurs bourgeois & bourgeoiſes.

Claes, en rentrant dans la chaumière, dit à sa femme :

— Commère, il eſt bien dur de condamner ainſi, pour quelques folles paroles, un si jeune garçon à cette dure peine.

— Tu pleures, mon homme, dit Soetkin ; tu l’aimes plus que tu ne le montres, car tu éclates en sanglots de mâle, qui sont pleurs de lion.

Mais il ne répondit point.

Nele était allée se cacher dans la grange pour que nul ne vit qu’elle auſſi pleurait Ulenſpiegel. Elle suivit de loin Soetkin & Claes, les bourgeois & bourgeoiſes ; quand elle vit son ami s’éloigner seul, elle courut à lui & lui sautant au cou :

— Tu vas trouver bien des belles dames par là, dit-elle.

— Belles, je ne sais, répondit Ulenſpiegel ; mais fraîches comme toi, non, car le soleil les a toutes rôties.