Page:De Coster - Les Frères de la Bonne Trogne, 1856.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les pourrait il éveiller. Ha ! faut-il qu’après nous avoir délaissées, ces vilains buveurs nous aillent encore faire mourir.

— Ne plourez point dit André Bredael, ce n’est l’heure. — Aimez-vous ces maris ?

— Oui, dirent-elles.

— Et vos fils ?

— Oui, dirent-elles.

— Et vos fillettes si gentes et si mignonnes ?

— Oui dirent-elles.

— Et vous les défendriez voulentiers ?

— Oui, dirent-elles.

— Adoncques ajouta Bredael, allez quérir les armes de ces dormeurs et me venez joindre ici vitement. Nous aviserons au moyen de nous défendre bien.

Bientôt revinrent les femmes avec les arcs de leurs maris. — Et ces arcs étaient grandement renommés par tout le pays, pour ce qu’ils portaient plus loin et plus dru que d’autres.

Puis vinrent aussi sus la place garçonnets de douze ans et un peu davantage et aucuns braves vieux hommes, — mais les femmes les firent au logis retourner disant qu’il leur fallait garder la commune.

Elles se tenaient toutes sur la place y parlant avec grande ardeur et courage, mais sans nulle jactance et tout de blanc vêtues, jaques, robes et chemises ; ainsi que sont de coutume aux femmes accoutrements de nuit ; mais à cette fois ce fut par spéciale faveur de Dieu comme vous l’allez voir.

Wanlje qui était là aussi, bien hardie et délibérée, dit subitement qu’il fallait prier. Et ensemble toutes les femmes se mirent à genoux dévotement et la fillette parla ainsi :

« Madame la Vierge qui êtes reine ès cieux, comme madame la duchesse est reine en ces pays ; considérez humblement prosternées devant vous, de pauvres femmes et filles, auxquelles par suite de buverie de leurs maris et parents, il faut de présent faire devoir d’homme, et soi armer en guerre, — Si vous vouliez seulement un petit supplier Monseigneur Jésus de nous être secourable nous serions bien assurées de vaincre. Et nous vous baillerions en reconnaissance, belle couronne de fin or, avec rubis, turquoises, diamants, belles chaînes d’or, belle robe de brocard toute fleurie d’argent et autant pour Monseigneur votre fils. Adoncques priez pour nous, madame la Vierge. »

Et toutes ces bonnes femmes et fillettes de dire après Wantje : « Priez pour nous, Madame la Vierge. »

Soudain se relevant toutes, elles aperçurent une belle et claire étoile descendant du ciel en la terre, tout proche d’elles et c’était bien sûrement un ange du bon Dieu qui se laissait choir ainsi du paradis et se tenait tout proche pour les mieux pouvoir assister.

Considérant ce bénin prodige, les bonnes femmes prirent encore plus grand courage et Wantje parla encore et dit :

« Madame la Vierge nous veut écouter, — j’en ai bonne espérance — allons maintenant à l’entrée du village, proche l’église et de notre Seigneur y enfermé — (ci toutes se signèrent) y pour attendre la Dent de fer et ses compagnons bravement. — Dès que nous les verrons venir, il nous faut sans parler ne bouger du tout, tirer sur eux. Madame la Vierge conduira les flèches. »

« C’est bien parlé, brave fillette, dit maître Bredael, allons. — Je vois à tes