Je sais que tu es une bonne fille… et… mais, sois tranquille… si ça arrivait… je ne t’abandonnerais pas.
Vraiment !
Oh ! non… je te ferais un sort… tu viendrais dans ma maison… dans mon château… et tu ne manquerais de rien… tu serais logée, nourrie, blanchie, chaussée…
Vraiment !… Et qu’est-ce que j’aurais à faire pour tout cela ?
Ce que tu voudrais… tu soignerais le linge… tu bercerais les petits…
Je rincerais la vaisselle, n’est-ce pas ?
Si ça t’amusait.
Merci, mon beau Monsieur. (Elle fait la révérence.) Je suis bien votre servante, (Se redressant fièrement.) Mais votre domestique, nenni-da ! (Elle prend son paquet et les débris de sa guitare.)
Ah !… Et où vas-tu donc ?
Rejoindre ma sœur.
Toute seule ?
Faut bien…
Mais puisque je t’offre une place dans ma carriole.
Et dans votre cuisine ?
Ah ! tu es trop fière, aussi, à la fin !
Mieux vaut être fière, que vaniteux… mauvais cœur.
Grittly !
Et ingrat… adieu ! (Elle s’éloigne. En ce moment Berthold paraît et l’arrête.)
Scène VI.
Eh bien ! eh bien !… où allez-vous donc la belle enfant ?
Laissez-moi !
Qu’y a-t-il donc ? une querelle ? une brouille ?
C’est elle qui me méprise parce que je suis riche.
C’est lui qui me méprise parce que je suis pauvre.
Un moment… chacun à son tour.
Je vous prends pour juge… père clop… colporteur. Voyez si ça a du bon sens… elle veut partir toute seule. (À Grittly.) Et si tu fais de mauvaises rencontres, petite malheureuse obstinée que tu es !
Je trouverai toujours bien quelqu’un pour me protéger.
Justement !… c’est ça que je ne veux pas. (Il lui arrache son paquet.)
Il a raison… venez avec nous.
Eh ! oui… partons ensemble… c’est ce que je me tue de lui dire… (Avec importance.) Faites avancer la voiture…
Quant à ça, minute… Une voiture… un cheval, ça coûte gros… et le maquignon demande des sûretés.
Eh ben ? est-ce que je n’ai pas mon numéro ? mon soixante-six ?…
C’est juste… donnez-le-moi, je vais le lui montrer.
Mon cher numéro !… c’est que c’est de l’or en barre ça… (Avec inquiétude.) Eh bien ! eh bien ! où est-il donc ? j’ai tant de poches…
Je voudrais le voir perdu, ce maudit carré de papier.
Ne dis pas cela, Grittly… (Il prend son mouchoir pour s’essuyer le front et y retrouve son billet qu’il avait noué dans un des coins ; avec joie.) Ah ! ah ! le voilà ! (Il le baise et le donne à Berthold.) Mon bienheureux soixante-six !… (À Grittly.) T’étais déjà contente, toi !…
Tiens !…
Quoi donc ?
Comment !… c’est là… vous en avez un autre ?…
Non…
Cherchez bien…
Mais non… que je vous dis…
Ah ! pauvre garçon !
C’est bien ça… Les deux ronds… avec les deux… 66 enfin.
Oui… comme ça… mais (Il retourne le billet.) comme ça… 99
Mais pourquoi que vous le tournez comme ça ?
Parce qu’il y a le point.
Le point ?
Oui, là… (Il indique avec le doigt.)
Où donc ?
Ce petit chose noir… à droite des deux chiffres.
Eh bien ! qu’est-ce que c’est que ça ? c’est un pâté !…
Ça indique comment le numéro doit être tenu. (Il le lui présente.)
Eh bien ! comme ça… ça fait 99 ?
Oui.
Mais comme ça…
Mais c’est comme ça qu’il faut le regarder…
Mais, alors, ce n’est donc pas le 66 ?…
Non…
Mais alors je n’ai donc pas gagné ?
Non.
Mais, alors… les cent mille…
Flambés !
Mais alors, je suis ruiné !
Ça me fait cet effet-là !
Mais alors, pourquoi que vous m’avez dit ?
Ce n’est pas moi.
C’est vous.
C’est toi.
Ah ! Jésus mein gott… Der teufel !… sapperment !…
Pauvre garçon !
- Ô ciel ! ô ciel ! est-il possible !