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LES ANCIENS CANADIENS.

parfaitement ton langage, dont une moitié est un reproche de t’avoir abandonné pendant si longtemps ; et dont l’autre moitié exprime le plaisir que tu as de me revoir, et c’est une amnistie de mon ingratitude. Pauvre Niger ! lorsque je reviendrai de mon long voyage, tu n’auras pas même, comme le chien d’Ulysse, le bonheur de mourir à mes pieds.

Et Jules soupira.

Le lecteur aimera, sans doute, à faire connaissance avec les personnes qui composaient la famille d’Haberville. Pour satisfaire un désir si naturel, il est juste de les introduire suivant leur rang hiérarchique.

Le seigneur d’Haberville avait à peine quarante-cinq ans, mais il accusait dix bonnes années de plus ; tant les fatigues de la guerre avaient usé sa constitution d’ailleurs si forte et si robuste : ses devoirs de capitaine d’un détachement de la marine l’appelaient presque constamment sous les armes. Ces guerres continuelles dans les forêts, sans autre abri, suivant l’expression énergique des anciens Canadiens, que la rondeur du ciel, ou la calotte des cieux ; ces expéditions de découvertes, de surprises, contre les Anglais et les Sauvages, pendant les saisons les plus rigoureuses, altéraient bien vite les plus forts tempéraments.

Le capitaine d’Haberville était au physique ce que l’on peut appeler un bel homme. Sa taille au-dessus de la moyenne, mais bien prise, ses traits d’une parfaite régularité, son teint animé, ses grands yeux noirs qu’il semblait adoucir à volonté, mais dont peu d’hommes pouvaient soutenir l’éclat quand il était courroucé, ses manières simples dans leur élégance, tout cet ensemble lui donnait un aspect remarquable.