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LA FÊTE DU MAL.

présenta successivement un fusil à tous les membres de sa famille, en commençant par la seigneuresse ; et les femmes firent le coup du fusil comme les hommes (b). Ce fut ensuite un feu de joie bien nourri qui dura une bonne demi-heure. On aurait pu croire le manoir assiégé par l’ennemi. Le malheureux arbre, si blanc avant cette furieuse attaque, semblait avoir été peint subitement en noir, tant était grand le zèle de chacun pour lui faire honneur. En effet, plus il se brûlait de poudre, plus le compliment était supposé flatteur pour celui auquel le mai était présenté.

Comme tout plaisir prend fin, même celui de jeter sa poudre au vent, M. d’Haberville profita d’un moment où la fusillade semblait se ralentir, pour inviter tout le monde à déjeuner. Chacun s’empressa alors de décharger son fusil pour faire un adieu temporaire au pauvre arbre, dont quelques éclats jonchaient la terre ; et tout rentra dans le silence (c).

Le Seigneur, les dames et une douzaine des principaux habitants choisis parmi les plus âgés, prirent place à une table dressée dans la salle à manger habituelle de la famille. Cette table était couverte des mets, des vins, et du café qui composaient un déjeuner canadien de la première société ; on y avait aussi ajouté, pour satisfaire le goût des convives, deux bouteilles d’excellente eau-de-vie et des galettes sucrées en guise de pain (d).

Il n’y avait rien d’offensant pour les autres convives exclus de cette table ; ils étaient fiers, au contraire, des égards que l’on avait pour leurs parents et amis plus âgés qu’eux.

La seconde table dans la chambre voisine, où trônait mon oncle Raoul, était servie comme l’aurait été