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LES ANCIENS CANADIENS.

fini par cesser presque d’y croire. Les païens en avaient fait une divinité : c’était sans doute pour l’implorer dans les grandes infortunes. Si la physiologie nous enseigne que nos souffrances sont en raison de la sensibilité de nos nerfs, et partant de toute notre organisation, j’ai alors souffert, ô mon fils ! ce qui aurait tué cinquante hommes des plus robustes.

Le bon gentilhomme se tut de nouveau, et Jules lança quelques petits cailloux dans la rivière.

— Voilà, reprit le vieillard, cette onde qui coule si paisiblement à nos pieds ; elle se mêlera, dans une heure tout au plus, aux eaux plus agitées du grand fleuve, dont elle subira les tempêtes, et dans quelques jours, mêlées aux flots de l’Atlantique, elle sera le jouet de toute la fureur des ouragans qui soulèvent ses vagues jusqu’aux nues. Voilà l’image de notre vie ! Tes jours, jusqu’ici, ont été aussi paisibles que les eaux de ma petite rivière ; mais bien vite tu seras ballotté sur le grand fleuve de la vie, pour être exposé ensuite aux fureurs de cet immense océan humain qui renverse tout sur son passage ! Je t’ai vu naître, d’Haberville ; j’ai suivi, d’un œil attentif, toutes les phases de ta jeune existence ; j’ai étudié avec soin ton caractère ; et c’est ce qui me fait désirer l’entretien que nous avons aujourd’hui, car jamais ressemblance n’a été plus parfaite qu’entre ton caractère et le mien. Comme toi, je suis né bon, sensible généreux jusqu’à la prodigalité. Comment se fait-il alors que ces dons si précieux, qui devaient m’assurer une heureuse existence, aient été la cause de tous mes malheurs ? comment se fait-il, ô mon fils ! que ces vertus, tant prisées par les hommes, se soient soulevées contre moi comme autant d’ennemis acharnés à ma