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LE BON GENTILHOMME.

un d’eux, dis-je, d’une industrie charmante en fait de tortures, obtint contrainte par corps ; et par un raffinement de cruauté digne d’un Caligula, ne la mit à exécution qu’au bout de dix-huit mois. Peut-on imaginer un supplice plus cruel que celui infligé à un homme entouré d’une nombreuse famille, qui la voit pendant dix-huit mois trembler au moindre bruit qu’elle entend, frémir à la vue de tout étranger qu’elle croit toujours porteur de l’ordre d’incarcération contre ce qu’elle a de plus cher ! Ce qui m’étonne, c’est que nous n’ayons pas succombé sous cette masse d’atroces souffrances.

Cet état était si insupportable que je me rendis deux fois auprès de ce créancier, le priant, au nom de Dieu ! d’en finir et de m’incarcérer. Il le fit, à la fin, mais à loisir. Je l’aurais remercié à deux genoux. Je jouissais d’un bonheur négatif, en défiant, à travers mes barreaux, la malice des hommes de m’infliger une torture de plus !

Le prisonnier éprouve un singulier besoin pendant le premier mois de sa captivité : c’est une inquiétude fébrile, c’est un besoin de locomotion continue ! Il se lève souvent pendant ses repas, pendant la nuit même pour y satisfaire : c’est le lion dans sa cage. Pardon à ce noble animal de le comparer à l’homme ! il ne dévore que quand il a faim : une fois repu, il est généreux envers les êtres faibles qu’il rencontre sur sa route.

Après tant d’épreuves, après cette inquiétude fébrile, après ce dernier râle de l’homme, naguère libre, j’éprouvai, sous les verrous, le calme d’un homme qui, cramponné aux manœuvres d’un vaisseau pendant un affreux ouragan, ne ressent plus que les