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UNE NUIT AVEC LES SAUVAGES.

Locheill, dit Dumais, ne me doit aucune explication. Ce n’est pas celui qui, au péril imminent de sa vie, n’a pas hésité un seul instant à s’exposer à la rage des éléments déchaînés pour secourir un inconnu, ce n’est pas un si noble cœur que l’on peut soupçonner de manquer aux premiers sentiments de l’humanité et de la reconnaissance. Je suis soldat et je connais toute l’étendue des devoirs qu’impose la discipline militaire. J’ai assisté à bien des scènes d’horreur de la part de nos barbares alliés, qu’en ma qualité de sergent, commandant quelquefois un parti plus fort qu’eux, j’aurais pu empêcher, si des ordres supérieurs ne m’eussent lié les mains : c’est un rude métier que le nôtre pour des cœurs sensibles.

J’ai été témoin d’un spectacle qui me fait encore frémir d’horreur quand j’y pense. J’ai vu ces barbares brûler une Anglaise : c’était une jeune femme d’une beauté ravissante. Il me semble toujours la voir liée au poteau où ils la martyrisèrent pendant huit mortelles heures ! je la vois encore cette pauvre femme au milieu de ses bourreaux ; et n’ayant, comme notre mère Ève, pour voile que ses longs cheveux, blonds comme de la filasse, qui lui couvraient la moitié du corps. Il me semble entendre sans cesse son cri déchirant de : mein Gott ! mein Gott ! Nous fîmes tout ce que nous pûmes pour la racheter, mais sans y réussir ; car, malheureusement pour elle, son père, son mari et ses frères en la défendant avec le courage du désespoir, avaient tué plusieurs sauvages et entre autres un de leurs chefs et son fils. Nous n’étions qu’une dizaine de Canadiens contre au moins deux cents Indiens. J’étais bien jeune alors, et je pleurais comme un enfant. Ducros dit La-