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UNE NUIT AVEC LES SAUVAGES.

blait sans cesse entendre ses cris déchirants de : mein Gott ! mein Gott ! On s’est étonné de mon sang-froid, et de mon courage, lorsque les glaces m’entraînaient vers les chutes de Saint-Thomas ; en voici la principale cause. Au moment où la débâcle se fit, et que les glaces éclataient avec un bruit épouvantable, je crus entendre, parmi les voix puissantes de la tempête, les cris déchirants de la malheureuse Anglaise et son mein Gott ! mein Gott ! (j) Je pensais que c’était un châtiment de la Providence, que je méritais, pour ne pas l’avoir secourue. Car, voyez-vous, monsieur Arché, les hommes font souvent des lois que le bon Dieu est loin de sanctionner. Je ne suis qu’un pauvre ignorant, qui doit le peu d’instruction que j’ai reçue au vénérable curé qui a élevé ma femme ; mais c’est là mon avis.

— Et vous avez bien raison, dit Arché en soupirant.

Les deux amis s’entretinrent, pendant le reste du trajet, de la famille d’Haberville. Les dames et mon oncle Raoul s’étaient réfugiés dans la ville de Québec, à la première nouvelle de l’apparition de la flotte anglaise dans les eaux du Saint-Laurent. Le capitaine d’Haberville était campé à Beauport, avec sa compagnie, ainsi que son fils Jules, de retour au Canada, avec le régiment dans lequel il servait.

Dumais, craignant quelque fâcheuse rencontre de sauvages abénaquis qui épiaient les mouvements de l’armée anglaise, insista pour escorter Arché jusqu’au bivouac où il avait laissé ses soldats. Les dernières paroles de de Locheill furent :

— Vous êtes quitte envers moi, mon ami, vous m’avez rendu vie pour vie ; mais moi je ne le serai