Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
LES PLAINES D’ABRAHAM.

roles, et elles me font espérer des temps plus heureux pour ceux qui n’ont jamais cessé d’être frères par le sentiment.

Tu connais comme moi, continua Jules, l’état précaire de cette colonie : tout dépend d’un coup de dé. Si la France nous abandonne à nos propres ressources, comme il y a tout lieu de le croire, et si d’un autre côté, vos ministres qui attachent un si grand prix à la conquête de cette contrée, vous envoient du secours au printemps, il faudra de toute nécessité lever le siège de Québec et vous abandonner finalement le Canada. Dans l’hypothèse contraire, nous reprenons Québec et nous conservons la colonie. Maintenant, mon cher Arché, il m’importe de savoir ce que tu feras dans l’une ou l’autre des deux éventualités.

— Dans l’un ou l’autre cas, dit de Locheill, je ne puis, avec honneur, me retirer de l’armée tant que la guerre durera ; mais advenant la paix, je me propose de vendre les débris de mon patrimoine d’Écosse, d’acheter des terres en Amérique, et de m’y fixer. Mes plus chères affections sont ici ; j’aime le Canada, j’aime les mœurs douces et honnêtes de vos bons habitants ; et après une vie paisible, mais laborieuse, je reposerai du moins ma tête sur le même sol que toi, mon frère Jules.

— Ma position est bien différente de la tienne, répliqua Jules, tu es le maître absolu de toutes tes actions, moi, je suis l’esclave des circonstances. Si nous perdons le Canada, il est tout probable que la majorité de la noblesse canadienne émigrera en France, où elle trouvera amis et protection ; si ma famille est de ce nombre, je ne puis laisser l’armée. Dans le cas contraire, je reviendrai, après quelques années de service,