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LES ANCIENS CANADIENS.

j’ai mérité mon sort, et je dois me soumettre avec résignation aux désastres, conséquences de mes folies.

Monsieur d’Haberville n’avait pas même la consolation des remords ; il dévorait son chagrin ; il répétait sans cesse en lui-même :

– Il me semble pourtant, ô mon Dieu ! que je n’ai pas mérité une si grande infortune : de la force, du courage, ô mon Dieu ! puisque vous avez appesanti votre main sur moi.

La voix de l’étranger fit tressaillir le capitaine d’Haberville, sans qu’il pût s’en rendre raison ; il fut quelque temps sans répondre, mais il lui dit enfin :

— Vous êtes le bienvenu, mon ami, vous aurez à souper et à déjeuner ici, et mon meunier vous donnera un lit dans ses appartements.

— Merci, dit l’étranger, mais je suis fatigué, donnez-moi un coup d’eau-de-vie.

Monsieur d’Haberville n’était guère disposé à donner à un inconnu, à une espèce de vagabond, un seul coup de la provision de vin et d’eau-de-vie qu’une bien petite canevette contenait, et qu’il réservait pour la maladie, ou pour les cas de nécessité absolue, aussi, répondit-il par un refus, en disant qu’il n’en avait pas.

— Si tu me connaissais, d’Haberville, reprit l’étranger, tu ne me refuserais certes pas un coup d’eau-de-vie, quand ce serait le seul que tu aurais chez toi (d).

Le premier mouvement du capitaine, en s’entendant tutoyer par une espèce de vagabond, fut celui de la colère, mais il y avait quelque chose dans la voix creuse de l’inconnu, qui le fit tressaillir de nouveau, et il se contint. Blanche parut au même instant avec une lumière, et toute la famille fut frappée de stupeur