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LE NAUFRAGE DE “L’AUGUSTE.”

vins à faire du feu après beaucoup de tentatives ; il était temps : ces malheureux ne pouvaient ni parler, ni agir : je leur sauvai la vie.

Je retournai tout de suite au rivage pour ne point perdre de vue le navire, livré à toute la fureur de la tempête. J’espérais secourir quelques malheureux que la mer vomissait sur la côte, car chaque vague qui déferlait sur l’épave, emportait quelque nouvelle victime. Je restai donc sur la plage depuis trois heures de relevée que nous échouâmes, jusqu’à six heures du soir que le vaisseau se brisa sur la côte. Ce fut un spectacle bien navrant que les cent quatorze cadavres étendus sur le sable, dont beaucoup avaient bras et jambes cassés, ou portaient d’autres marques de la rage des éléments !

Nous passâmes une nuit sans sommeil, et presque silencieux : tant était grande notre consternation. Le 16 au matin, nous retournâmes sur la rive où gisaient les corps de nos malheureux compagnons de naufrage. Plusieurs s’étaient dépouillés de leurs vêtements pour se sauver à la nage ; tous portaient plus ou moins des marques de la fureur des vagues. Nous passâmes la journée à leur rendre les devoirs funèbres, autant que notre triste situation et nos forces le permettaient.

Il fallut laisser le lendemain cette plage funeste et inhospitalière, et nous diriger vers l’intérieur de ces terres inconnues. L’hiver s’était déclaré dans toute sa rigueur : nous cheminions dans la neige jusqu’aux genoux. Nous étions obligés de faire souvent de longs détours pour traverser l’eau glacée des rivières, qui interceptaient notre route. Mes compagnons étaient si épuisés par la faim et la fatigue, qu’il